Stone
Certains films n’ont pas besoin de dévoiler le moindre bout de chair pour dégager, par tous les recoins de leurs plans, de la sensualité ; d’autres peuvent planquer les missels sous le lit de grand‑mère et crouler malgré tout sous le ciel plombé d’une bigoterie diffuse et omniprésente. C’est le cas de Stone qui, passé un formidable prologue où tout est dit du passé de Jack (Robert De Niro, un agent correctionnel proche de la retraite) avec une économie de moyens remarquable, s’enfonce dans les marais d’une Amérique puritaine qui ferait passer les Mormons de l’Utah pour des drilles libertaires.
Il faut dire que Jack est flanqué en guise de femme d’une grenouille de bénitier rousse qui, les traits épuisés et le cheveu pauvre, affronte la douleur du monde entier, l’œil rougi dans la Bible. On le comprend assez vite, Jack a laissé filer sa passion (le golf) et s’est construit une façade (mine renfrognée, sermons à table, prières à l’Église) qui montre des signes de fatigue. L’homme est à deux doigts de craquer la chemise, et après quarante‑trois ans de purgatoire, il en faudrait peu pour que le démon de midi sonne tous les jours et 24 heures sur 24.
Pourtant, De Niro, tout en underplaying, ne nous refera pas le coup du Max Cody des Nerfs à vif. Et puis Milla Jovovich n’est pas Juliette Lewis. L’étincelle arrive enfin avec les tresses de Gerlad Creeson, dit « Stone » (Edward Norton), un homme emprisonné pour le meurtre de ses grands‑parents et dont la femme, allumeuse en Diable, va tenter de séduire Jack afin d’obtenir la libération de son mari.
De quoi parle Stone, alors ? Du péché, de la rédemption, de la frontière ténue qui sépare le Bien du Mal, des regrets, de la foi, de la vie, en bref, le cocktail typique (et à dormir debout : c’est un avis personnel) de ces films existentiellement sérieux qui parlent de tout, et donc précisément de rien.
Si l’on décèle partout la présence de Dieu (radio qui débite des sornettes religieuses, scène grotesque où De Niro part chercher chez un prêtre chauve l’antidote à ses doutes…), on sent partout cette manière d’écriture au forceps, à la fois didactique et pataude, qui caractérise une bonne part de ces films choraux que l’impayable Paul Haggis (Collision) au mitan des années 2000, a eu la mauvaise idée de remettre au goût du jour. Ici, tout fait signe et tout fait sens (le bourdonnement d’une abeille, une bague, un œuf dur revisité façon pomme d’Adam), et on se demande pourquoi Lelouch ne tente pas un come‑back à Hollywood. Enfin, le suspense du film est d’emblée carbonisé pour qui se souvient du twist de Peur primale (Gregory Hoblit, 1995), avec Edward Norton déjà.