Stay Hungry
Si le mouvement du Nouvel Hollywood des années 1970 a été une foisonnante période de créativité et d'émulation pour le cinéma américain, nombre des films sortis à cette époque restent encore dans l'ombre de l'histoire. C'est le cas d'une grande partie de la carrière de Bob Rafelson : considéré pourtant comme un membre clé du mouvement, co‑créant la société de production Raybert Productions qui produira Easy Rider ou The Last Picture Show, on retient surtout de lui son film culte Five Easy Pieces en 1970, mettant en scène un jeune Jack Nicholson. La réédition de son Stay Hungry, sorti en 1976, permet donc un beau coup de projecteur sur un film oublié, singulier, imparfait mais touchant, qui embrasse une légèreté si particulière de cette époque.
Un rôle sur mesure pour Schwarzenegger
En Alabama, un gosse de riche, Craig Blake, ne sait pas trop que faire de sa vie et de sa fortune suite à la mort brutale de ses parents dans un accident d'avion. Quand il n'erre pas dans sa grande propriété de famille vide, il tue le temps en travaillant au sein d'une entreprise d'immobilier crapuleuse qui souhaite racheter à bas prix des terrains en ville pour y construire de grands immeubles de bureaux. Mais quand on le charge de racheter une petite salle de sport, il fait alors la connaissance d'une communauté soudée et libre qui lui fait remettre en question son quotidien, tout particulièrement un jeune bodybuilder autrichien qui s'entraîne pour le concours de Mister Univers, Joe Santo.
C'est avant tout pour son casting étonnant que Stay Hungry attire l'attention aujourd'hui. Dans le rôle de Craig Blake, on retrouve un fringuant Jeff Bridges, parfait dans ce rôle de jeune fou cherchant une échappatoire à son héritage et son milieu social étouffant, symbole romanesque d'une génération en perte de repères. Et puis il y a le personnage de Joe Santo joué par Arnold Schwarzenegger, encore inconnu du grand public. Celui‑ci était jusqu'ici cantonné à des rôles dans des navets (Hercules in New York en 1970) ou à des petites apparitions (on pense à lui en homme de main torse nu dans The Long Goodbye de Robert Altman). Mais Rafelson lui offre ici non seulement un premier rôle sur mesure (il avait lui‑même gagné trois fois le titre de Mister Universe entre 1968 et 1970 !), mais également un personnage de cinéma bien loin des clichés du sportif bodybuildé qu'Arnold cultivera dans le reste de sa carrière : mystérieux, philosophe, impassible, Joe Santo est une énigme, pouvant autant être une inspiration pour le personnage principal qu'un miroir parfois cruel face à sa désinvolture. Acteur souvent sous‑estimé, Schwarzenegger est parfait dans ce rôle, réussissant à montrer beaucoup de sensibilité et de délicatesse, il sera d'ailleurs récompensé à juste titre du Golden Globe de la révélation masculine après la sortie du film. Enfin, gravitant entre ces deux hommes, on notera l'énergie toujours contagieuse de Sally Field (Forrest Gump), excellente dans son rôle de réceptionniste de salle de sport, fille simple et faussement ingénue qui vient mettre à mal les attitudes toxiques du personnage principal.
Un film libre mais décousu
Il y a dans Stay Hungry encore bien des thématiques qui étaient au cœur des films du Nouvel Hollywood quelques années plus tôt : la cruauté d'un système américain capitaliste qu'une nouvelle génération remet en question, et la façon dont des communautés soudées d'électrons libres cherchent à se créer d'autres chemins. Pas forcément très subtil dans son écriture et sa critique de la bourgeoisie des États du Sud, Stay Hungry s'amuse à mettre côte à côte les grandes soirées bourgeoise où pullulent le sarcasme et le mépris, avec d'autres moments de pure liberté au sein de la salle de sport mais aussi loin de la ville, où ces outsiders se retrouvent et s'aiment avec bienveillance. Il en résulte quelques belles scènes poétiques et sensibles dans lesquelle les personnages évoluent avec humour et tendresse, comme ce moment de fête dans les bois où Arnold joue de la musique country !
Mais cette bienveillance confuse et un peu fauchée montre rapidement ses limites : Stay Hungry souffre malheureusement d'une réalisation un peu brouillonne et d'un montage souvent décousu, créant un rythme en dents de scie. Plus généralement, le ton très décontracté de l'ensemble peine à masquer un manque de direction et de propos clair, ce qui rend le film inégal et un peu vain : plusieurs arcs narratifs s'égarent sans raconter grand‑chose, certains personnages sont des caricatures peu inspirées et plusieurs rebondissements semblent complètement artificiels. Le tout culmine dans un final grand‑guignol cherchant à faire exploser l'exubérance présente tout au long du film mais n'offrant qu'une conclusion bizarrement cynique et cruelle très loin d'être satisfaisante pour le spectateur. Cependant, impossible de nier le charme typiquement Seventies de Stay Hungry, et le plaisir de redécouvrir un film aussi singulier, pur produit de son époque, pour le meilleur comme pour le pire.