Snowpiercer, le Transperceneige
En 2031, la Terre est depuis 17 ans prise dans les glaces. Seuls ont survécu les passagers du Snowpiercer, un train gigantesque tournant sans s’arrêter autour du globe. Survivant dans des conditions misérables, les passagers en queue de train fomentent une révolte inspirée par le vieux Gilliam (John Hurt) et menée par le jeune Curtis (Chris Evans).
Snowpiercer est une œuvre improbable. L’adaptation d’une BD française des années 80 (Le Transperceneige signé Lob, Rochette et Legrand) menacée d’oubli, un pur film d’action filmé par Bong Joon‑Ho, génial réalisateur coréen, avec une partie de la fine fleur des acteurs anglo‑saxons.
On peut tout craindre d’un tel pudding : un film d’action générique, un récit « de train » comme on en a vu mille fois, un Bong Joon‑Ho (réalisateurs des géniaux Memories of Murder et The Host) bridé par ses financiers internationaux… Et puis quoi, un film sur une révolte populaire mené par Chris Evans, l’interprète Hollywood chewing‑gum de Captain America ? Oui, on peut peut tout craindre de Snowpiercer.
Et c’est pour ça qu’on se le prend en pleine poire. Bong Joon-Ho, loin de s’étioler à coups de millions de dollars ou de se laisser dévorer par son décor claustrophobique, livre au contraire un film d’une ambition formelle sidérante. L’homme trouve le moyen de cadrer, avec une intelligence sans cesse renouvelée, cette remontée de train, véritable fuite en avant dans un monde roulant dont chaque wagon recèle autant de chocs esthétiques intenses. À l’instar de ce qu’il a fait sur Memories of Murder ou The Host, Bong Joon-Ho réussit à malmener les nerfs du spectateur en variant sans cesse le tempo tout en jouant une partition mélangeant horreur et humour, violence et absurde.
Son scénario ‑simple sur le papier‑ contient nombre de coups de théâtre, autant de pépites maléfiques qu’il serait criminel de spoiler mais dont les germes résident dans le principe même du récit : après 17 ans de survie dans le monde clos du Transperceneige, aucun rescapé ne peut être innocent. Pour peupler son film, Bong Joon-Ho profite aussi d’un casting impeccable : les valeurs sûres (drôle et terrifiante Tilda Swinton, émouvant John Hurt) comme les plus improbables tel Chris Evans qui, avec un mélange d’obstination/désespoir poignant, trouve dans son personnage de jeune loup le meilleur rôle de sa courte carrière.
On peut certes reprocher au film un léger ralentissement de régime au deux tiers, un aparté paradoxal sous la forme d'une explosion de violence un peu stérile. Mais cet ultime feu d’artifice de brutalité prépare en fait le final du film, une tombée des masques glaçante et déstabilisante dont on a franchement du mal à se remettre.
Soyez en sûr, Snowpiercer survole la plupart des films d’action sortis ces dernières années. Une véritable leçon de cinéma qui sera, dans les années à venir, montrée dans les écoles de Septième art.