Sils Maria
Quinzième film d’Oliver Assayas, cinéaste élégant et singulier à l’éclectisme certain (Demon Lover, Carlos, Les destinées sentimentales, Irma Vep), Sils Maria s’impose d’emblée comme une réussite totale, vive, précise, virtuose, une balade inquiète dans le vortex de l’époque contemporaine, coincée entre la disparition d’un vieux monde et l’avènement d’un autre qui suscite effroi et fascination.
L’ancien monde, c’est Juliette Binoche qui l’incarne, à la fois la femme (lettrée, cultivée, technique de jeu impeccable) et son personnage, l'actrice Maria Anders, en route pour Zurich où elle doit rendre hommage à un dramaturge, Melchior, qui fut son pygmalion. Elle n’était encore qu’une débutante lorsque Melchior lui offrit le rôle qui fit d’elle une star. Dans Le serpent de Maloya, elle était Sigrid, une jeune femme arriviste qui séduisait et atomisait une femme plus âgée qu’elle, Helena. Mais au cours du voyage, Maria apprend la mort subite de Melchior. En compagnie de son assistante Valentine (formidable Kristen Stewart dans un faux second rôle terne qui cannibalise tous les séquences où elle apparaît), elle se retire dans un chalet et répète le rôle d’Helena, qu’un metteur en scène de théâtre vient de lui proposer.
Le nouveau monde, c’est bien sur Valentine, à la fois assistante, partenaire, Gemini et miroir cruel, et Jo‑Ann Ellis (Chloë Grace Moretz, l’héroïne du diptyque Kick Ass), actrice pétillante, vedette des réseaux sociaux qu'elle inonde de ses frasques, qui va reprendre le rôle de Sigrid.
Au sein d’un somptueux décor alpin digne de la Montagne magique de Mann, Assayas apporte sa pierre à l’édifice des films sur les acteurs (on pense bien sûr à Eve de Mankiewicz), mais ce sont moins les effets de rivalité qui l’intéressent que les paradoxes de notre époque, à la fois globalisée et locale, et le rapport intime des personnages au temps qui file et les transforment malgré eux.
La partie centrale du film, sorte de crise existentielle de Maria vécue pendant les répétitions de la pièce au cours desquelles elle se confronte à son passé sous un angle nouveau (et douloureux), permet à Assayas d’atteindre les sommets que son cinéma devait un jour atteindre. Une merveille.