Shōgun
À l’aube du XVIIe siècle, Blackthorne (Cosmo Jarvis) est le pilote d’une expédition corsaire en perdition venue semer le chaos dans les colonies portugaises. Blackthorne et quelques infortunés hommes d’équipage échouent sur les côtes du Japon. C’est un moment compliqué pour le pays qui, considéré par les Occidentaux comme un territoire portugais, est surtout déchiré par les conflits de cinq régents se disputant le pouvoir. Parmi ces puissants seigneurs menés par l'obstiné Kazunari (Takehiro Hira), la vie du rusé Yoshii Toranaga (Hiroyuki Sanada) est plus particulièrement menacée. Ce dernier tire habilement parti de l’arrivée de Blackthorne et de son navire armé de nombreux canons pour tenter de reprendre le dessus sur ses rivaux…
Un best-seller totalement revisité
Shōgun est originellement un roman des années 70 signé par l’écrivain australien James Clavell, vétéran de la Royal Navy et ancien prisonnier de guerre des Japonais. Le récit était vaguement inspiré d’une aventure historique réelle, celle du navigateur anglais William Adams, arrivé au Japon au moment de l’accession au pouvoir d’un redoutable noble, Ieyasu Tokugawa. Lequel deviendra Shōgun en 1603, soit une sorte de super gouverneur militaire du Pays du soleil levant. La main de fer de Tokugawa a unifié le Japon, mis fin aux incessantes querelles féodales qui ravageaient le pays et jeté hors des frontières nipponnes les missionnaires catholiques.
Shōgun, best‑seller international, avait déjà été adapté dans les années 80. Mais cette production, elle aussi populaire, souffrait d’un tropisme américain presque caricatural. Le beau et romantique Blackthorne campé par Richard Chamberlain (Les oiseaux se cachent pour mourir) tombait les Japonaises et sauvait le gentil « samouraï » (Toshiro Mifune, acteur fétiche de Kurosawa notamment dans Barberousse et Les 7 samouraïs) grâce à sa science occidentale du combat et des armes modernes.
Nouveau point de vue
Shōgun version 2024 (10 x 45') renverse complètement ce schéma. Sous la plume des showrunners Rachel Kondo ‑nouvelle venue dont il faudra retenir le nom‑ et Justin Marks (scénariste des excellents Counterpart et Top Gun Maverick), Blackthorne n’est plus ce formidable héros occidental irradiant de vertu. Mais bien un rustre malin surtout déterminé à survivre. Un irritant grain de sable qu’un noble japonais roué va employer pour se débarrasser de ses ennemis.
Pour la faire courte, dans Shōgun années 80, l’Occidental menait la danse et les Japonais jouaient les utilités alors que dans Shōgun version 2024, c’est le contraire. Cette salvatrice bascule permet paradoxalement à tous de briller. Les comédiens nippons, en particulier Anna Sawai (Monarch, Ninja Assassin), sont tous formidables. Idem pour l’éructant Cosmo Jarvis (L’ombre de la violence), phénoménal de vitalité.
Loin de clichés
Dans le casting, on a particulièrement apprécié les excellents Hiroyuki Sanada (Bullet Train), contraint de par le rôle de Toranaga à manifester les humeurs de son personnage énigmatique à coups de micro‑expressions précieuses. Ou encore le savoureux Tadanobu Asano (Silence, Zatoichi) qui jubile à camper un noble un peu voyou tentant sans cesse de jouer double jeu.
Ce Shōgun brille par une mise en scène hyper léchée dotée de gros moyens, d’une violence visuelle bien contrôlée et d’un faux rythme posé qui autorise le spectateur à mieux percevoir les arcanes mentaux et moraux d’un Japon s’extirpant de la gangue féodale.
On apprécie enfin l’importance donnée aux personnages féminins qui, très loin des clichés des geishas éplorées, s’avèrent ici aussi bien de belles figures tragiques (Anna Sawai), de redoutables éminences grises que d’effrayantes meurtrières infiltrées. Tout comme les superbes images signées par un quatuor de directeurs photo (Sam McCurdy, Marc Laliberté, Christopher Ross, Aril Wretblad) aussi à l'aise dans de somptueux paysages dégagés que des sous‑bois meurtriers ou des intérieurs soigneusement coquins. Une pure splendeur crépusculaire qui ravira les pupilles.