Seul contre tous
À ne pas confondre avec le film au titre éponyme de Gaspard Noé, Seul contre tous (Concussion en VO) s’attaque à une institution sportive, la NFL, puissante fédération nationale du football américain qui, il y a une dizaine d’années, dut faire face et étouffer un scandale d’envergure.
Bennett Omalu (Will Smith), un neuropathologiste d’origine nigérienne installé à Pittsburgh, découvre à l’occasion de l’autopsie d’une star du football les dégâts cérébraux provoqués par les chocs frontaux répétés que subissent les joueurs professionnels au cours de leur carrière. Aidé par un ancien médecin de la fédération en quête de rédemption (Alec Baldwin) et son supérieur hiérarchique, Omalu va tenter de révéler sa découverte à une Amérique qui choie la vérité mais s’en protège lorsque celle-ci concerne un symbole de la nation.
Après avoir revisité l’assassinat de JFK et les théories fumeuses entourant son autopsie (le mollasson Parkland), Peter Landesman poursuit sa petite entreprise critique, en sourdine, sans éclats, comme une version sous Lexomyl du cinéma coup de poing d’Oliver Stone. Seul contre tous se remet ostensiblement dans les pas des films dossiers des années 1970, et plus récemment dans ceux de Révélations de Michael Mann, autre histoire d’homme seul et intègre opposé à la toute‑puissante industrie du tabac.
Mais Landesman choisit de ne pas verser dans le thriller, ce qui le prive de l’ampleur du genre, de sa capacité à attraper d’un seul geste le destin d’un individu et celui de la collectivité. Les quelques coups de fil inquiétants qu’Omalu reçoit à son domicile ne sont que des fausses pistes. Le film reste collé à son personnage et fait malheureusement abstraction de la dimension politique de son sujet, des zones d’ombre et d’influence des lobbies de la NFL, mais aussi du pacte qui lie ce type d’institution à ses supporters. Et si, chez ces Américains de toutes conditions, le besoin de croyance était plus fort que la vérité que s’obstine à établir Omalu ? Liberty Valance, on y revient toujours.
C’est l’écueil de ceux qui préfèrent le sermon à la question que de ne pouvoir envisager simultanément les faces opposées d’un même problème. Réduit à quelques visages inquiétants aperçus sur un écran de télévision ou, de loin, dans une salle de conférences, les hommes du pouvoir ne sont ici que des épouvantails commodes sur lesquels Landesman fait l’impasse. Le seul intérêt du film tient à la fois dans l’obstination du personnage, sa candeur aussi (il est le seul à ignorer le nom des stars du sport le plus populaire des USA) et son origine étrangère dont le film exploite toutes les ressources. Bien que désireux de s’intégrer au pays de l’Oncle Sam et devenir l’un de ses citoyens modèles, bien qu’il possède déjà tout son attirail bigot (c’est une parfaite grenouille de bénitier), il ne maîtrise qu’une partie des codes culturels de son Shangri‑La (lieu imaginaire décrit dans le roman Les horizons perdus, James Hilton, 1933, NDLR) et cette ignorance, cette étrangeté littérale, lui permet paradoxalement de retrouver cette grandeur objective des phares tutélaires de la nation.