Dans la grande cohue des documentaires musicaux, difficile de ne pas applaudir la singularité et la profondeur de Scream for me Sarajevo qui, loin des biopics bien rodés, fait d'une simple soirée de musique et de ce qui aurait pu être juste une anecdote, un véritable hommage à une génération brisée par la guerre. Nous sommes en 1994. Voilà deux ans et demi que Sarjevo est en état de siège dans l'indifférence quasi‑intégrale du continent européen. Et c'est pourtant là, au cœur de la capitale de la Bosnie‑Herzégovine, un soir de décembre, que le légendaire chanteur de Iron Maiden Bruce Dickinson et son groupe Skunkworks décidèrent de donner un concert gratuit face à une partie de la jeunesse bosniaque. Un événement aussi insensé que porteur d'espoir dont le documentaire Scream for me Sarajevo retrace l'organisation et le déroulement, 22 ans après, en donnant la parole au groupe, aux organisateurs et surtout au public.
Que les amateurs de metal soient prévenus, ce long métrage ne s'intéresse pas à la musique de Dickinson à proprement parler, mais plutôt à ce qu'elle a pu représenter, ne serait‑ce qu'un soir, dans le cœur d'adolescents vivant dans un pays en guerre. Donnant longuement la parole à des Bosniaques ayant assisté au concert alors qu'ils étaient à peine majeurs, Scream for me Sarajevo prend d'abord le temps de nous replacer son contexte avec toute la douleur nécessaire : le siège, les bombardements, les tirs de snipers. Quelques histoires et quelques photos floues suffisent alors pour dresser le portrait du quotidien des jeunes de 16 à 20 ans qui tentaient de vivre à Sarajevo en 1994. Et c'est en regard à ces destins malmenés par la guerre que l'organisation à haut risque du concert de Bruce Dickinson semble alors prendre tout son sens : apporter de la joie malgré la peur et faire oublier quelques instants la noirceur du quotidien.
Convaincus assez vite de participer à l'aventure, Bruce Dickinson et son très jeune backing band sont alors amenés tant bien que mal jusqu'à Sarajevo, traversant des lignes de front sous protection de l'ONU et avec l'aide d'une poignée de bénévoles motivés dans une odyssée surréaliste mais miraculeusement sans encombres. Un voyage tendu évoqué par les musiciens deux décennies plus tard avec une émotion réelle face à la caméra du réalisateur Tarik Hodzic. Jusqu'à la libération et le point culminant du film : le soir du concert. Quelques images abimées d'un vieux caméscope apparaissent alors à l'écran, souvenir d'un show qui, de loin, semble ressembler à tant d'autres. Ce n'est que peu de chose. Et pourtant tout est là. Un moment figé dans le temps qui a marqué aussi bien ceux qui étaient devant ou sur la scène. Avec sensibilité, pudeur et une passion admirable, Scream for me Sarajevo célèbre la puissance de la musique face à la peur et la mort. Rares sont les documentaires musicaux à pouvoir en offrir autant.