Sans identité
Son dernier film, Esther, nous avait plutôt bluffé. Raison suffisante pour aller jeter un coup d’œil à Sans identité et voir comment Jaume Collet‑Sera allait (ou non) réussir à ne pas perdre la sienne dans un bain hollywoodien mille fois touillé. Comme Polanski l’avait fait avec Harrison Ford dans Frantic, le modèle incontestable du film dont l’action se déroulait, elle, à Paris, Collet‑Serra immerge le Yankee Liam Neeson dans un Berlin grisou et enneigé, réactivant ainsi l’éternel fantasme d’une Europe vaguement anxiogène, avec ex‑agent de la Stasi (Bruno Ganz, bonne surprise du film et allusion à La vie des autres), hommes de l’ombre menaçants et hôpitaux aux allures de morgues.
À peine débarqué de l’aéroport, le Docteur Martin Harris (Neeson), venu participer à un congrès scientifique, est victime d’un accident de voiture qui le plonge quatre jours durant dans un coma profond. Mais lorsqu’il retrouve sa femme, celle‑ci ne le reconnaît plus et un homme semble avoir pris son identité. Victime (ou pas) du syndrome Jason Bourne, amnésie inquiétante devenue une marque de fabrique du thriller contemporain, Harris décide de démêler l’écheveau de ce qui ressemble, de près comme de loin, à une conspiration politico‑financière.
Depuis le carton Taken, production Besson dans laquelle un père enragé débarquait à Paris afin de récupérer quelque chose (sa fille) à grands renforts de poursuites et de nuques brisées (226 millions de dollars de recettes pour une mise de 25), Liam Neeson a ouvert à 55 ans une seconde carrière d’actioner. Sans identité remplit sans peine son cahier des charges de série B à gros budget, mais permet aussi de comprendre pourquoi tant de jeunes transfuges espagnols, ayant fait leurs armes dans le fantastique, se greffent si bien à Hollywood.
Leur force : croire dur comme fer aux vertus d’un scénario à tiroirs mais qui retombe toujours sur ses pieds. Ici, Neeson perd une femme, mais ne quittera pas le film sans en avoir retrouvé une autre ; de même que les trous d’air de sa mémoire finiront par être intégralement colmatés. Leur faiblesse, sorte de face obscure de la Force, consiste à tout miser sur l’écriture et les rebondissements, laissant à la mise en scène le soin d’accompagner les à‑coups de l’histoire (à chaque twist, la caméra tressaute).
Résultat, la forme, pour efficace qu’elle soit, ne prend jamais en charge l’évolution du récit, toujours à la traîne d’une inquiétude que le scénario aura d’abord confirmé. Le contraire des films paranoïaques d’Alan Pakula par exemple (À cause d’un assassinat, Klute), qui faisaient naître par la forme le sentiment diffus d’un complot, avant que le scénario, mais plus tard, ne leur trouve un petit objet. Il y a quarante ans déjà.