Sans filtre
La dernière Palme d’or à Cannes s'ouvre sur une séquence géniale et décapante dans les coulisses d'un casting de mode homme. Le décor est planté, celui des apparences, de l'argent facile et de l'égalité des sexes (le mannequinat homme est une des rares professions où les hommes gagnent moins que les femmes).
Le grand shaker de Ruben Östlund
Carl, sur la pente descendante, se fait méchamment recaler (« ou peut‑être avec de la chirurgie ? », lâche la directrice de casting) mais ne tarde pas à retrouver sa fiancée Yaya, influenceuse très à la mode, évidemment accro aux selfies, avec qui il s'embrouille aussitôt autour d'une histoire d'argent. Et les voilà bientôt à bord d'un superbe bateau, invités d'une croisière de luxe où se croisent des milliardaires de toutes sortes bichonnés par une armée de petites mains invisibles.
Mais rien ne va se passer comme prévu. Par l'entremise d'une tempête, Ruben Östlund actionne le grand shaker et redistribue des cartes truquées d'avance dans un grand déballage de vomi, de vérités lâchées comme des grenades, d'excréments qui dévalent les escaliers et de petits arrangements bêtes et méchants. Un grand tourbillion qui va voir émerger celle que personne n'avait vu venir, prête à venger tous les affronts endurés. Mais tenir tête à autant de « beau monde » a forcément un prix…
L'art du chaos
Divisées en trois parties, les 2h40 de film passent finalement plutôt bien tant le Suédois Ruben Östlund (aussi Palme d'or à Cannes en 2017 avec The Square) nous embarque dans une aventure inattendue sans temps morts, de plus en plus brutale et chaotique. Et toujours très efficace quand il s'agit de créer le malaise tout en questionnant la finalité d'une société dénuée d'humanité et mue par les intérêts d'une minorité. Le capitaine du bateau, incarné par Woody Harrelson, poète à ses heures et lassé des soirées de gala vides de substance, ne verra d'ailleurs pas de raison particulière à maintenir à flot ce qui ne fonctionne pas.
Un film dont le discours n'a pas d'équivalent en ce moment, peu aimable mais drôle. En un mot, saignant.