Rocco
Après leur documentaire sur le chorégraphe Benjamin Millepied (Relève, histoire d'une création), Thierry Demaizière et Alban Teurlai braquent leur caméra sur le sulfureux Rocco Siffredi, Dieu vivant du X qui, à 52 ans et en cours de tournage (sur deux années), décide de raccrocher les gants.
5 000 partenaires, 1 500 films, réputation plus que sulfureuse, rapports réputés violents, productions cheap à l'esthétique douteuse, on se dit que l'affaire est pliée. Mais dès le début du film, dans la pénombre d'une douche filmée en noir et blanc, le duo de portraitistes évacue d'emblée l'objet du désir (délire ?) en dévoilant la partie de l'anatomie hors norme de celui qui ne sera pas le curé que sa mère aurait voulu qu'il fut, mais le hardeur le plus connu de tous les temps.
Rocco Siffredi entre visuellement en scène mais Rocco Tano, de son vrai nom, dit tout autre chose face caméra quelques secondes plus tard en évoquant la perte de son frère alors qu'il était enfant. Le tournant de sa vie et de son rapport à sa mère. Un thème central qui ne quittera plus jamais le film jusqu'à la confession d'un acte à peine croyable survenu juste après l'enterrement de cette dernière. Eros et Thanatos, le péché, le Mal, l'indéniable autre axe du film, étrangement symbolisé par une immense croix en bois qu'il portera sur ses épaules lors de son tout dernier film tourné dans la Porn Valley de Los Angeles aux côtés de son alter ego féminin de toujours, Kelly Stafford.
Partis pour tourner un documentaire plus vaste sur la pornographie américaine, Demaizière et Teurlai se sont vite résolus à se concentrer sur la porno star au charisme magnétique qui aura très rarement trouvé au sein de son industrie des personnages à sa hauteur. Conscient de son étrange parcours, de son aura et de ses failles, ce dernier se livre comme jamais : transgressions, addiction au sexe, connaissance infinie du monde féminin (quoi qu'on en dise). Sans omettre les moments les plus sombres, lorsque tout aurait pu basculer.
Tantôt cruel lorsqu'une jeune actrice débutante aux gestes gauches et ridicules dit tout d'une certaine misère du monde, tantôt léger quand le cousin mi‑cameraman mi‑groupie oublie d'enlever les pare‑soleil de sa caméra, obstruant ainsi une bonne partie des images fraîchement tournées, Rocco est définitivement un ovni filmique aussi sincère que déstabilisant. À réserver aux curieux pas prudes (voir la première prise de contact buccale très crue entre Rocco Siffredi et une jeune ambitieuse déjà sous le charme).