Quai d'Orsay
Voici un drôle de film : adapté de la BD (le premier tome) éponyme d’Abel Lanzac et de Christophe Blain, Quai d’Orsay marque l’entrée (tardive) de Bertrand Tavernier dans la comédie pure et dure, sorte de réponse, à presque quarante ans de distance, de Que la fête commence dont il reprend la structure éclatée et virevoltante.
Tavernier aime les ruches, les milieux professionnels avec leurs codes, leurs rituels et leurs étranges jargons, peu importe qu’il s’agisse de la police (L.627), d’une école (Ça commence aujourd’hui) ou de l’industrie du cinéma pendant l’Occupation (Laissez‑passer). On l’aura compris, Quai d’Orsay plonge dans un cabinet ministériel, celui du ministre de la Défense du début des années 2000, soit Dominique de Villepin bien sûr, rebaptisé ici Alexandre Taillard de Worms (incarné par un Thierry Lhermitte flamboyant mais au jeu un peu monocorde). Une tornade d’idées et d’énergie qui transmet au film son rythme intense.
À travers les yeux d’Arthur le candide (Raphaël Personnaz, La princesse de Montpensier), un jeune conseiller préposé à l’écriture des discours du Ministre, et de Claude Maupas (Arestrup, contenu et très bon), directeur de cabinet et véritable Gepetto du poète à la crinière cendrée, Tavernier raconte moins une histoire en particulier ‑même si le film invente une crise diplomatique avec un pays imaginaire, le Lousdemistan, et se tend vers le fameux discours prononcé par Villepin à l’ONU en février 2003‑ qu’il ne prend le pouls d’un petit milieu toujours essoufflé, terrorisé à l’idée de ne pas être à l’heure d’un monde qui va décidément trop vite (même sentiment de vitesse que dans L’exercice de l’État de Schoeller, mais traité ici sur le mode de la farce bouffonne) et soumis à une excitation aussi vaine que perpétuelle.
Le canard s’agite dans tous les sens, brasse un vent immense, mais ne possède pas de véritable tête. Le fameux « langage » du film, d’usage strictement stratégique, ne renvoie jamais à aucune idée, il sonne désespérément creux. De ce point de vue, le film de Tavernier sonne terriblement juste : parler pour ne rien dire, faire passer les illuminations idiotes des communicants pour des visions politiques, etc.
On aurait pu s’attendre à ce que Tavernier, l’extrême cinéphile, s’emparant de la chose politique, aille chercher ses modèles du côté de Preminger (Tempête à Washington), de Schaffner (Que le meilleur l’emporte) ou de Ford (Le soleil brille pour tout le monde), plutôt que dans la comédie américaine des années 1930 et 40, et la verve acide d’un Lubitsch. Le film oscille ainsi entre la vitesse d’un Preston Sturges ‑dialogues écrits au cordeau‑, des effets visuels à la Claude Zidi (ces piles de papiers qui s’envolent à chaque irruption du ministre) et une forme modeste, empruntée à la série télé (décidément un modèle contemporain, voir La vie d’Adèle).