Prometheus
Attendu comme le Saint Graal par les aficionados du mythe Alien (1979), Prometheus confirme au moins deux choses. Tout d’abord, l’inaltérable puissance d’un mythe créé, entre autres, par Dan O’Bannon et Ridley Scott, et poursuivi par Cameron (Aliens, film de guerre), Fincher (le mystico‑médiéval Alien 3) et Jeunet (Alien, la résurrection, unique faux pas d’une série de haute tenue).
Ensuite, sa capacité, comme le zombie de Romero dont il constitue le négatif parfait (l’alien, c’est l’Autre absolu, tandis que le mort vivant incarne l’horreur du Même), à tendre un miroir où chacun y verra ce qu’il veut : l’incarnation géniale des peurs adultes trois ans avant que l’adorable E.T. ne déferle sur les écrans de cinéma, une métaphore marxiste sur la lutte des classes, ou encore un cauchemar identitaire et sexuel où les hommes accouchent dans la douleur de bestioles aux allures de pénis dentés.
Ridley Scott l’a avoué lui‑même : l’Avatar de James Cameron, son concurrent hollywoodien, a accéléré son désir de revenir aux sources d’Alien, et d’ouvrir, si l’on en croit le dernier plan du film et les zones d’ombre laissées intactes, un nouveau cycle dans une filmographie qui, il faut le reconnaître, commençait à battre un peu de l’aile (cf. Robin des Bois et Mensonges d’État).
Prometheus marque ainsi le retour, et en grande pompe, de Scott à la SF métaphysico‑dickienne (qui est humain ? qui est une machine ?) après trente ans de silence (Blade Runner date de 1982) et conjugue le désir kubrickien de son auteur de s’interroger sur l’origine de l’humanité via son monolithe à lui, soit une bestiole biomécanique créée par Giger et découverte, à l’époque, par l’équipage du Nostromo sur une planète mystérieuse, LV-426, à l’intérieur d’un vaisseau en forme de croissant.
Cela dit, cette préquelle trompeuse d’Alien déroutera sans doute les non‑experts en « alienologie », tant le film converse à chaque plan avec l’original qui en constitue le fantôme permanent : le réveil douloureux de l’équipage, des rangées de vasques menaçantes à l’intérieur desquelles mijote une substance noirâtre, un androïde décapité (et fan de Lawrence d’Arabie), l’extraction d’un bébé monstre au prix une césarienne violente (formidable Noomi Rapace), une reprise discrète du thème musical de Jerry Goldsmith…
Prometheus suit donc la quête d’un équipage militaro‑scientifique financée par un homme d’affaires cryogénisé, convaincu que sur cette planète se trouvent nos créateurs, une race de colosses chauves (les « Ingénieurs ») qui, pour une raison inconnue, ont créé une arme (le gène alien, première génération) pour nous détruire.
D’une beauté et d’une élégance formelles à couper le souffle, Prometheus substitue à la tension viscérale du premier opus une tension plus intellectuelle fondée sur la réapparition progressive du fameux vaisseau et du « space jokey », cet humanoïde figé d’Alien dont le film déploie patiemment la genèse.
Une merveille qui, en dépit de quelques concessions de surface (transparence de certains personnages, une séquence de trouille un peu expédiée), apporte la preuve que le talent de Scott, lorsqu'il le veut, est resté intact.