Prince : Welcome 2 America
« Real music... Made by real musicians ». Il faut sans doute avoir un certain orgueil pour lâcher au micro une telle déclaration, à peine un quart d’heure après le début d’un concert, comme pour rappeler au public que l'instant est loin d'être ordinaire, mais rare, unique, potentiellement en voie de disparition. Pourtant, quand la phrase sort de la bouche de Prince, accompagnée d’un petit rictus malicieux alors qu’il gratte nonchalamment sur sa guitare flamboyante quelques riffs funky en diable, difficile de ne pas admettre la part de vérité qui se cache derrière l’arrogance goguenarde.
Tout au long de sa carrière jusqu’à sa disparition tragique en 2016, Prince n’aura pas joué dans la même cour que ses contemporains. Dans les années 80, il signa une succession d’albums cultes (1999, Purple Rain, Sign of the Times...) quasi inégalée dans son genre et révélant son talent implacable et surtout une virtuosité que même les décennies suivantes, souvent moins inspirées, n’ont jamais remis en question. Et ce récent live proposé en Blu‑Ray Dolby Atmos, disponible pour la première fois dans ce format à l’occasion de la sortie de l’album posthume Welcome 2 America (nous avons eu la chance d'avoir cette édition Deluxe entre les mains, et elle est sublime), montre bien que, jusqu’au bout, Prince était un « vrai musicien ».
La tournée d'un album qui n'est pas sorti
Filmé le 28 avril 2011, le concert vient se situer durant la tournée Welcome 2 America qui se déclina à travers le monde de 2010 à 2012 et qui aurait dû défendre un album du même nom, enregistré en 2010, dont la sortie fût finalement annulée par Prince. Et plus particulièrement, ce live se place en plein cœur d’une résidence de douze concerts au Forum à Los Angeles. Douze shows variés, aux set‑lists pleines de surprises et de nouveauté d’un soir à l’autre, pour lesquels Prince était accompagné de son groupe New Power Generation, sur une scène prenant la forme de son fameux Love Symbol. Et ce soir du 28 avril, Prince semble tout simplement avoir envie de s’amuser, se lançant dans 2h20 de concert (avec pas moins de quatre rappels !) qui mêlent tubes planétaires, morceaux rares d’albums oubliés et reprises parfois méconnaissables.
Funk liquide avec basses slappées
C’est dans la pénombre que tout commence, avec dix bonnes minutes d’un jam jazzy autour du morceau Joy in Repetition (extrait de Graffiti Bridge) que New Power Generation fait tourner avec élégance, les silhouettes se détachant à peine de la pénombre. Une introduction tranquille avant que les affaires commencent, en attendant l’arrivée de Prince, sortant du sol par une espèce d’ascenseur, sans un mot, sa silhouette seule, reconnaissable entre mille, suffisant à chauffer la foule. Un tour de la scène, comme pour inspecter les lieux, et le voilà qui prend le micro, nous rappelant qu’il est aussi une voix, féline, unique. Ce sont ces moments‑là, quand Prince est entièrement au cœur de l’attention, qui sont les plus captivants de ce concert. Il faut ainsi entendre l’enchaînement de Let’s Go Crazy (et son incroyable introduction à l'orgue), Delirious puis 1999, au beau milieu du show, incroyable moment de funk liquide avec ses basses slappées et ses claviers explosifs, qui donne à la grande salle du Forum des allures de dancefloor. Poussées dans le rouge, avec l’appui de choristes féminines qui font le show d’un bout à l’autre de la scène, les versions de morceaux comme Controversy sont certes moins subtiles que les versions originales, mais semblent d’autant plus imparables, machines à faire danser, interprétées avec une précision admirable par un groupe de musiciens décidément très doués.
Un Purple Rain de 10 minutes inoubliable
Les ambiances se succèdent, apportant au concert une certaine diversité, capable de passer de moments de groove (la version de Partyman, tiré de la BO de Batman) à des ballades intenses : impossible de ne pas mentionner cette version de 10 minutes de Purple Rain s’achevant sur un solo sans fin, comme le morceau le mérite. Dommage cependant que Prince ne soit pas disposé à jouer seulement ses compositions, se perdant parfois dans des reprises relativement médiocres, comme ce Make You Feel My Love ronflant piqué chez Bob Dylan ou ces deux derniers rappels un peu superflus, le premier mélangeant du Wild Cherry et du Kool & the Gang sans grand intérêt, le second nous servant une relecture larmoyante du More Than This de Roxy Music qui ne restera pas dans les annales. Impression de maladresse également quand Prince invite une partie du public sur scène avec lui à l’occasion du premier rappel : entouré de gens désespérément normaux qui ont l’air contents d’être là mais dansent sans grâce, Prince semble acculé, effacé, jouant des morceaux moins marquants, puis contraint à se réfugier sur les hauteurs d’un piano pendant que des jeunes femmes s’accrochent à ses bottes en hurlant (réaction de Prince, délicieuse : « Excusez‑moi mesdames, mais je suis en train de travailler là »). Quand, enfin, tout ce petit monde est invité à reprendre sa place dans la fosse, c’est une respiration, et Prince de se lancer alors dans une version de Kiss détonante avec pas de danse d’usage.
Trop mais impérial
Il y a évidemment une sensation de « trop » à la sortie de ce concert : des orchestrations un peu trop ampoulées, des choristes un peu trop présentes, des rappels un peu trop orchestrés. Tout ceci aurait sans doute mérité parfois un peu plus de retenue, au plus près des grooves parfois minimaux de ses tubes cultes. Mais pourrait‑on réellement reprocher au kid de Minneapolis d’être dans la démesure ? Difficilement. C’est un concert de Prince. La simplicité n’est pas au programme. Et rien ne saurait, de toute façon, gâcher le plaisir de voir un artiste qui, après quatre décennies de carrière, était encore aussi impérial sur scène.