Perfect Sense
Un an après Contagion, fable bactério‑apocalyptique tournée par Steven Soderbergh, c’est au tour de l’Écossais David McKenzie (Toyboy) d’envisager la fin du monde. Mais à l’approche ultra‑clinique et globalisante du premier, McKenzie opte pour un traitement poétique, voire romantique (limite du film, sa musique un brin tire‑larmes), centré sur un quartier de Londres où un homme et une femme se rencontrent et vivent une histoire d’amour, au rythme d’un monde qui part doucement, mais sûrement, en lambeaux.
Lui (Ewan McGregor) est chef cuisiner, elle (Eva Green), épidémiologiste, soit deux rapports complémentaires aux sens humains qu’une pandémie inexpliquée va détruire progressivement. La perte de l’odorat, du toucher, de l’ouïe et plus encore, rythme ce récit fait d’accélérations brutales (un sens en moins, et la panique s’empare d’une humanité qui renoue avec ses pires instincts animaux) et de moments d’accalmie, lorsque, après le chaos, chacun se rend compte qu’il tient toujours debout et tente de s’adapter à cette nouvelle donne sensorielle. Ainsi, paradoxalement, chaque perte de sens contraint les survivants à refabriquer du lien entre eux, à regagner collectivement ce qu’ils ont perdu individuellement.
Comment ? Par des choses toutes simples : à défaut de pouvoir faire la différence entre bout de foie gras et un savon, aller au restaurant redevient un acte exclusivement social. Très vite, McKenzie évacue les pistes scientifiques (chercher un remède) et politique (une attaque terroriste ?) pour se concentrer sur une passion sensuelle naissante (belle idée : découvrir le corps de l’autre au moment où les sens font défaut), l’autisme amoureux servant de bulle de protection et de stabilité à l’intérieur d’un environnement qui s’effrite.
Ici, le mal étrange qui plombe peu à peu l’humanité provient de l’intérieur d’elle‑même, de nos sociétés de consommation qui, entre fuites en avant et logiques individuelles, s’abîment autour d’une dynamique d’éclatement (chacun pour soi et le monde pour personne).
Par petites touches discrètes (mise en scène privilégiant les images oniriques et les figures géométriques) et en restant concentré sur ce couple qui se forme enfin mais trop tard, McKenzie se sort plutôt bien d’une métaphore qui aurait pu virer au système pachydermique (tous coupable, façon Haneke) ou niais (redécouvrir les choses simples de la vie dès lors qu’on s’en trouve privé). Le duo Green/McGregor forme enfin l’un des plus beaux couples (de mélodrame) que le cinéma nous ait donné de voir depuis longtemps.