Parkland
Parkland, du nom de l’hôpital de Dallas où John F. Kennedy, le 22 novembre 1963 à 13 heures, fut déclaré mort, deux jours avant Lee Harvey Oswald, son assassin présumé, lui aussi transporté à Parkland, après qu’un certain Jack Ruby l’ait abattu dans les couloirs du commissariat.
En cette année du cinquantième anniversaire de la mort de JFK, on attendait Hollywood au tournant. Un film documentaire ? Un biopic de plus ? Une bombe imprévue d’Oliver Stone (dont le JFK de 1991 reste l’un des sommets du cinéma politique américain de ces dernières décennies) ? Non, nous avons droit à un film vaguement embedded (comprendre « embarqué ») aux côtés d’Abraham Zapruder (interprété par Paul Giamatti) et du personnel de l’hôpital en question qui, en 48 heures, voit débarquer dans la panique le corps et le crâne explosé de leur président, le tailleur rose et rouge sang de son épouse Jackie, des essaims d’hommes en costards issus des services secrets, du FBI, de la garde présidentielle, des journalistes, etc., et Lyndon Johnson qui, une heure plus tard, prêtera serment à bord d’Air Force One.
Journaliste passé à la réalisation, Peter Landesman signe un monument impressionnant de contournement et d’évitement de l’Histoire qui, à force d’occulter ce que des centaines d’ouvrages, de témoignages et d’analyses ont montré depuis, produit une image d’Épinal à laquelle même le juge Warren et sa théorie du tireur unique n’aurait pu croire en 1964 : minute par minute, les événements se succèdent, conformément à ce qu’ils furent, mais Landesman ne garde que leur écume, les trie, à la manière d’un film de propagande ahurissant dont la précision, redoutablement sélective, finit par produire un haut‑le‑cœur : rien sur la possibilité d’un autre tireur qu’Oswald, rien sur ce qu’il est advenu du film d’Abraham Zapruder au moment où le FBI exige son développement, rien sur l’autopsie du corps de JFK, rien sur l’Histoire tout court, mais un plan de Jackie passant son alliance au doigt mort de son mari, comme si, cinquante ans de discussions, de théories du complot, de livres, de faits historiques avérés et de déclarations gouvernementales n’avaient jamais eu lieu.
Les bras nous en tombent devant cette purge historique qui, à force de ne viser que l’émotion, finit par nous refaire croire que JFK a bien été assassiné par Oswald, et lui seul. De quoi halluciner. Parkland se situe donc au‑delà de la régression idiote ou du tract imbécile (comment croire que si l’assassinat de JFK n’avait été que cela, l’Amérique serait tout simplement ce qu’elle est devenue). Sa tentative : substituer à la réalité de l’Histoire un collectif de pathos à partir du plus médiocre dénominateur commun (que c’est triste la mort d’un président aimé du monde entier !).
Cela dit, cette incroyable opération d’amnésie et de réécriture de l’un des événements fondateurs de l’Amérique du XXIe siècle affiche d’emblée sa couleur puisque Landesman s’est inspiré d’un triste livre de Vincent Bugliosi (4 Days in November) publié en 2007, essai anachronique et renvoyé depuis aux oubliettes de l’Histoire qui tentait de redonner crédit à la thèse du tireur unique (et donc à l’absence de complot), thèse à laquelle, même le plus violent des anti‑conspirationnistes, même un hypothétique Hibernatus du Texas, ne croit plus.
L’aveuglement de l’auteur finit par se retourner contre lui‑même lorsqu’il ose, conformément à la stricte logique mélo, monter en parallèle les funérailles de JFK au cimetière d’Arlington et celles, qui se déroulent dans un anonymat un peu coupable, de Lee Harvey Oswald, aux environs de Fortworth. De quel parallèle s’agit‑il ? Que veut nous dire le film ? Que les douleurs des deux familles s’équivalent ? Qu’un mort en vaut un autre ? Le sommet du supplice est atteint.