Pacifiction, tourment sur les îles
Polynésie Française. De Roller (Benoît Magimel), Haut‑Commissaire de la République, navigue entre les réunions officielles et les soirées du Paradise Club. Dans l’archipel, le souvenir traumatique des essais nucléaires (Mururoa) résiste au paysage de carte postale. D’ailleurs, une rumeur à propos d’une reprise préoccupe, jusqu’à l’obsession, le représentant de l’État.
Eaux troubles
Fraîchement auréolé d’un César pour son interprétation magistrale, Benoît Magimel, costume immaculé, visage hermétique souvent caché derrière des lunettes de soleil, le contact facile, dissimule pourtant les limites de son personnage de décideur face aux locaux, à leur langue et leurs aspirations secrètes. À 20 000 km, la France affirme sa présence à travers un homme d’État qui peut aussi bien jouer le jeu de la représentation auprès de faranis (métropolitains) bien installés, qu’épouser la cause de groupuscules indépendantistes. Mais ces entrevues avec les autochtones répriment une hostilité sourde, les fantômes d’un passé colonial charriant le traumatisme encore récent des essais nucléaires (1966‑1996).
Des séquences dingues
Tour à tour investi et à mille lieues de sa fonction, De Roller absorbe les énergies et les couleurs stupéfiantes d’un pays dans lequel il demeure un passant et spectateur impuissant, comme le montre cette scène incroyable face à la vague mythique de Teahupoo. Embourbé dans une affaire kafkaïenne, quel sera alors son périmètre d’action ? On le retrouve scrutant l’horizon puis, lors d’une séquence nocturne complètement dingue, prendre le large à la recherche d’un sous‑marin énigmatique. Une opération vaine et absurde, dans la continuité de cet échange stérile engagé avec un amiral à la dérive (Marc Susini, magnifique), échoué à son tour sur ce bout de paradis (perdu) qu’un club éponyme divertit la nuit venue.
Des César plus que mérités
Formidable séquence inaugurale par ailleurs, où de jeunes marins accostent avec lui pour une escale à la Conrad, au cœur du Paradise. Alanguis dans leurs uniformes, ils semblent fantasmer une faune sensuelle parmi laquelle défilent des serveurs athlétiques en slip blanc et des vahinés de carte postale échappés d’une vision occidentale désenchantée.
Sublimé par la photographie hypnotique d’Artur Tort (César amplement mérité), le trip insulaire s’achève où il a commencé, arrimé à ces hommes de la Marine Nationale en décalage constant avec la réalité. Entre‑temps, il aura emprunté la voie du thriller paranoïaque en laissant De Roller sous la tempête, démuni face à l’illisibilité du monde. Et nous avec.