Ornette : Made in America
The Shape of Jazz to Come. La forme du jazz à venir. Il faudrait être fou ou vantard pour oser appeler ainsi son deuxième album. En 1959, Ornette Coleman l'a fait. Et, miracle, cette audacieuse promesse a été tenue. Brillant, prolifique, insatiable, le légendaire saxophoniste américain a offert au jazz quelques‑uns de ses albums les plus avant‑gardistes, les plus viscéraux et les plus fascinants de son histoire (parmi lesquels on compte également Free‑Jazz en 1961 ou encore Science Fiction en 1972). Une telle œuvre méritait bien un film à son image : abstraite, intime et déstructurée. C'est ce que nous propose Ornette : Made in America le long de ces intenses 75 minutes en patchwork flou.
Signé par Shirley Clarke, responsable des cultes The Cool World (1964) et Portrait of Jason (1967), ce film‑essai qui tend vers l'expérimental pur et dur s'attache donc à donner des couleurs et des formes au free‑jazz nerveux de Coleman, nous livrant en vrac des images collectées sur plusieurs époques par la réalisatrice, avec un seul objectif : saisir une attitude et une vision plutôt que de dérouler une banale frise chronologique sans panache. Mettre sur pellicule ce qu'est la musique d'Ornette Coleman plutôt que d'en faire la biographie.
C'est donc dans une sorte de confusion générale que nous transporte volontairement Ornette : Made in America, mêlant extraits d'un concert avec orchestre en 1983 dans sa ville natale pour interpréter son œuvre Skies of America (datant de 1972), archives plus ou moins dégradées (étonnantes répétitions avec son fils de 12 ans à la batterie en 1968), anecdotes absurdes et hilarantes racontées par l'artiste (dont sa volonté d'être castré quand il avait 30 ans !), plans abstraits et collages carrément épileptiques. Avec une outrance digne de l'année de sa sortie, 1985, le film de Shirley Clarke se permet d'envoyer au visage des spectateurs une multitude d'effets visuels criards au sein de longues séquences musicales complètement free, voire même carrément kitsch (le grand final avec Ornette Coleman dans l'espace est assez ahurissant...). De véritables attaques sensorielles à écouter très fort et les yeux écarquillés, écrins parfaits à une poignée de captations live puissantes.
Les néophytes de l'œuvre de Coleman risquent sûrement d'être absolument perdus face à Made in America : le contexte est balayé, la vision historique laissée au placard. Et pourtant, le principal est là. Vous n'apprendrez presque rien d'Ornette en regardant ce film, mais vous en saurez déjà bien assez pour partir à l'aventure. Quant à ses fans, ils y trouveront un moment déroutant en compagnie d'une légende absolue et immortelle.