Teasée dans les derniers moments d’une première saison étonnante mais formidablement menée, la suite de la série documentaire Montre jamais ça à personne voit Clément Cotentin continuer de filmer au jour le jour le rappeur Orelsan, ou peut‑être plus simplement son frère, Aurélien. Un portrait profondément intimiste qui avait su faire mouche grâce à sa sincérité et son ton sans filtres.
Après avoir retracé toute la carrière du rappeur, depuis les chambres aux rideaux tirés jusqu’aux stades affichant complets, en puisant dans des heures d’archives pléthoriques, l’exercice pour cette seconde époque était un peu différent pour Cotentin : documenter dans le détail l’écriture du nouvel album de son frère, depuis la page blanche jusqu’à sa sortie, en suivant toutes les étapes et les obstacles. Et passer finalement de la frise chronologique à un document beaucoup plus fouillé sur ce que c’est de composer et d’enregistrer un album qui se vend à des millions d’exemplaires aujourd’hui, en étant au plus près de son créateur.
Au plus près de la création
Et difficile d'être plus près d’Orelsan quand le documentaire commence, prenant son point de départ en mars 2020 : le confinement est annoncé, le rappeur décide de rentrer à Caen, juste à côté de chez son frère, où il a récemment fait construire un petit home studio tout en bois au fond d’un jardin. Malgré l’atmosphère anxiogène de la période, le moral est bon : quelques semaines d’isolation en famille pour se concentrer sur l’écriture d’un nouvel album, trois ans après la sortie de La fête est finie, opus de la consécration.
Et si les acolytes de toujours, Skread et Ablaye, ne sont pas là (confinement oblige), la perspective d'entamer le travail seul est vue par le rappeur comme une occasion de se lancer sans pression. Commence alors une année de travail douloureuse, pleine de doutes et de circonvolutions, qui aboutira finalement sur la sortie de Civilisation, en novembre 2021. Une genèse qui se sera faite dans la douleur et que la série nous décrit sans fard, mais sans appuyer non plus sur le mélodrame façon « problèmes de stars ».
Au contraire, Clément Cotentin (malgré ses voix off toujours aussi gamines, ayant l’air de présenter les dessins animés sur Gulli) réussit à capturer avec justesse toutes les douleurs du processus ingrat de la création musicale : les heures à essayer des tas de choses sans réussir à s’accrocher à une idée, les sautes d’humeur extrêmes qui font passer d’une euphorie goguenarde (« incroyable ma dernière idée ») à la déprime sans fond (« c’est le pire truc que j’ai jamais fait »). Orelsan le dit souvent à la caméra de son frère, présent dans tous les abysses : faire de la musique est un exercice compliqué, pénible, où il n’y a rien d’autre à faire qu’avancer, pousser, travailler, creuser, en espérant que ça donne quelque chose.
L'angoisse existentielle
Et les problèmes sont légion pour la création de cet album : ce confinement déjà, prolongé pendant deux mois et demi et qui se transforme rapidement en prison mentale pour le rappeur, complètement paumé à l’issue du premier épisode alors qu’arrivent à la rescousse le producteur Skread et l’ami de toujours Ablaye. Mais la fin des autorisations de sortie ne simplifie pas le reste de l’histoire : sessions d’enregistrement infructueuses dans des villas en Normandie, Skread accaparé par un projet solo qui s’embourbe et transporte la bande jusqu’au Mexique, problèmes informatiques qui privent Orelsan de centaines de pages de notes…
Et puis plus généralement, une angoisse existentielle pour le rappeur : celle de ne plus rien avoir à dire, cherchant des idées neuves sans en trouver ou revenant vers des thèmes plus fétiches, mais sans arriver à trouver des mots justes. Pire, la peur d’être un vieux type à la ramasse, affichant son âge sur sa tête (séquence lunaire où une photo peu flatteuse prise sur le tournage d’un clip vaut à Orelsan d’être vu quasiment comme un grabataire sur les réseaux sociaux pendant quelques semaines).
Une sincérité stupéfiante
À ce titre, Montre jamais ça à personne est d’une sincérité stupéfiante, nous faisant entendre les pires idées du rappeur (l’atroce Ah la France qui fait éclater de rire nerveusement ses comparses lors de la première écoute, et que le rappeur a mis avec humour dans la récente réédition de son album), mais aussi ses difficultés d’écriture, qui les pousseront même à annuler un morceau en featuring avec Angèle, pensé comme tube de l’album mais où Orelsan aura toutes les peines du monde à écrire ses couplets.
Plus généralement, il est passionnant de voir la façon dont des albums aussi populaires se font, se transforment, partent d’idées en vrac jusqu’à ne garder que certains éléments complètement transfigurés dans le produit fini, des premières démos à l’arrache jusqu’aux versions finales, sans pour autant donner l’impression que le résultat soit le résultat de budgets pharaoniques ou d’armées de producteurs. À la fin de la journée, il ne s’agit que de quatre ou cinq personnes, collaborateurs fidèles ou nouveaux partenaires, devant des ordinateurs, des claviers et des micros, qui se démènent pour écrire quelques morceaux.
Si les fans du rappeur seront évidemment les premiers intéressés par un tel carnet de création, incroyablement détaillé, la franchise du propos et la simplicité de la narration réussiront à captiver même ceux qui goûtent moins au rap‑pop d’Orelsan : pour sa précieuse sincérité, mais aussi pour le plaisir qu’il y a à traîner pendant quatre heures avec une bande de potes, drôles et toujours aussi simples malgré le succès.