par Cédric Melon
19 décembre 2023 - 11h30

Oppenheimer

année
2023
Réalisateur
InterprètesCillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon, Robert Downey Jr, Florence Pugh
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Christopher Nolan, réalisateur emblématique de DunkerqueTenet ou encore Interstellar, est de retour avec un drame historique complexe et effrayant qui confirme que le cinéma actuel peut aussi se conjuguer avec audace, singularité, noir et blanc, austérité (parfois), physique quantique et immense succès. Car en choisissant de raconter l’histoire vraie de Robert Oppenheimer, le « père de la bombe atomique », le cinéaste ne va pas du tout emprunter le chemin balisé du biopic traditionnel.

Oppenheimer, l'homme derrière la bombe

Pour écrire son scénario et raconter l’histoire de cette figure historique majeure, Christopher Nolan se base en premier lieu sur la biographie American Prometheus : the Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer écrite par Kai Bird et Martin J. Sherwin, récompensée d’un prix Pulitzer. Et pour incarner Oppenheimer, le réalisateur choisit le magnétique Cillian Murphy (Peaky Blinder). Un choix payant dès la première apparition du comédien. Que ce soit physiquement ou mentalement, Nolan nous plonge dans ce parcours incroyable qui va s’avérer être le cauchemar éveillé d’un homme particulièrement complexe. Un colosse aux pieds d’argile très vite dépassé par sa création révolutionnaire dont il ne mesurera la portée… qu’après coup. Le regard que pose le cinéaste sur le personnage passionne bien au‑delà de la course contre la montre engagée par l'Amérique contre l'Allemagne nazie, et c’est là tout le paradoxe du film : on est constamment à la poursuite du personnage (qui va déjà très vite) et de ses circonvolutions intérieures. On doute, on a peur et on espère avec lui. On s’offusque avec lui. Enfin, on se résigne, comme lui.

 

Une course vers la bombe aveuglante

Malgré son attente et sa mise en scène parfaite, le point central du film de Nolan n'est étonnament pas le test de la bombe opéré dans le désert (nom de code Trinity), mais la bascule de Robert Oppenheimer qui, très peu de temps après sa découverte scientifique majeure, prend d’un seul coup la mesure de sa dangerosité, comme s'il n’en avait jamais eu une conscience précise avant sa conception. Aussitôt, il plonge dans un état de sidération totale qui renvoie à ce même état éprouvé par le colonel Nicholson (Alec Guiness) dans Le pont de la rivière Kwai, une fois « son » pont terminé. Les deux personnages sont grisés par la même course vers la réussite sans réellement prendre conscience de la portée de leurs actes. Hiroshima pour l’un, l’issue de la guerre dans le Pacifique pour l’autre.

 

Cillian Murphy et Robert Downey Jr, époustouflants 

Autre originalité, que l'on retrouve aussi dans le JFK d’Oliver Stone, l'alternance du N&B et de la couleur pour marquer une mécanique implacable que plus rien ne peut arrêter. Une puissance visuelle faramineuse qui imprime la pellicule (l'Imax prend tout son sens ici), tout comme Cillian Murphy, le visage émacié, grisé puis défait. Parmi les nombreux seconds rôles incontournables du film, Tom Conti dans la peau d'Albert Einstein et surtout Robert Downey Jr, difficilement reconnaissable sous les traits de l’ancien secrétaire américain Lewis Strauss. Il est époustouflant. Méconnaissable aussi, Emily Blunt qui campe la femme d’Oppenheimer.

 

Au final, le film Oppenheimer propose un voyage tout simplement terrifiant au cœur de l’atome mais aussi et surtout d'un homme à la recherche de rédemption. Une double quête qui résonne d'autant plus avec une actualité brûlante et anxiogène où les interrogations de l'époque font à nouveau violemment surface. Le moins que l’on puisse dire d’Oppenheimer, c’est qu’il ne laissera personne indifférent et qu’il permet d’espérer qu’il existe encore aujourd’hui un espace populaire pour un cinéma exigeant.

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Tous publics
Prix : 34,99 €
disponibilité
22/11/2023
image
1 UHD-99 + 2 BD-50, 180', toutes zones
1.78
2.20
HD 2 160p (HEVC)
HDR10
16/9
bande-son
Français DTS-HD Master Audio 5.1
Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
Allemand DTS 5.1
Italien DTS 5.1
sous-titres
Français, anglais, allemand, italien, néerlandais
10
10
image

Tournée en Imax 65 mm, traitée chimiquement pour atteindre le rendu souhaité par Nolan et son DOP, numérisée en 8K puis passée en 4K, alternant la couleur et le N&B (format inédit en 65 mm), cette image analogique marque d'emblée sa singularité et sa puissance avec un niveau de détail sans doute jamais atteint, « le plus proche de ce que voit l'œil humain » pour Christopher Nolan. Une « réalité » et une clarté indéniables doublées d'une matière extraordinaire.

Pour arriver à ce résultat, Nolan a non seulement mis en œuvre des prises de vues très proches des personnages et aussi utilisé des objectifs particuliers (dont des lentilles submersibles de sondes spatiales). Enfin, un étalonnage plan par plan très complexe long de plusieurs mois afin d'accorder le montage pellicule N&B/couleurs (à même le négatif 65 mm original) et le montage numérique qui servait de copie de travail (cf. bonus). Les deux univers, la couleur (le point de vue d'Oppenheimer, les plans proches de lui) et le N&B (l'autre intrigue, celle qui s'éloigne du scientifique pour se rapprocher de Lewis Strauss/Robert Downey Jr) se mêlent à merveille tout en conservant leur propre style, plein d'ombres et de relief notamment pour le N&B. Le grand format 65 mm (le même que pour Laurence d'Arabie) capte ici l'intime, les visages comme des paysages et fait corps avec la mise en scène de Nolan, sondant sans cesse l'âme énigmatique d'Oppenheimer.

Un mot sur la séquence phare et inédite dans l'histoire du cinéma : l'explosion de la bombe lors du tout premier test dans le désert, et qui a réellement explosé en version macro pour les besoins du film en laboratoire. La séquence est particulièrement marquante et cinématographique, 100% analogique, 0% VFX. Idem pour les images d'illustration très « réelles » symbolisant des atomes et des particules en mouvement, issues d'astuces parfois très bricolées et filmées là encore en vrai avec des lentilles particulières. 

 

Entre l'Imax (version 5 perforations et 15 perforations, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) et cette alternance de N&B et de couleurs, le HDR Dolby Vision a donc été laissé de côté en vidéo avec la volonté de ne pas ancrer le film dans une réalité trop moderne (voire brillante). Le HD10 officie donc seul et fait sens d'un point de vue narratif. Avec son fidèle directeur photo Hoyte van Hoytema (assez costaud pour tourner en Imax parfois caméra géante sur l'épaule), un fidèle, Nolan a travaillé son image comme un artisan, un expérimentateur, privilégiant les noirs délicieusemement mats (comme dans la vie) et le sens profond de chaque plan, sans volonté de faire trop beau ou esthétisant. 

 

Chacun appréciera ces très gros plans sur le visage de Cillian Murphy/Oppenheimer, d'une transparence et d'une précision presque atomiques. Avec la sensation de plonger dans son regard alors que tout s'efface autour (sorte de trans‑travelling/effet Vertigo sans aucun mouvement). Impressionnant.

10
10
son

La musique d'Oppenheimer est signée de l'Islandais Ludwig Göransson (sa femme est au violon pour le thème principal, 6 notes fragiles en glissando sur une ligne de basses assez horrifique). Omniprésents, les violons sont pour Nolan les instruments de musique les plus proches de l'émotion et de l'intellect. Ils accompagnent quasiment chaque séquence du film, ce qui peut parfois largement surprendre voire agacer mais contribue à l'urgence des événements montrés dans le film. Les séquences de procès sont davantage traitées comme un film d'action. Un tourbillon sonore qui stoppe net lors de la séquence la plus attendue du film pour un effet qui laisse sans voix (et sans son aussi).

 

Très dialogué, le film se satisfait complètement du DTS‑HD Master Audio 5.1. Là encore, il s'agissait de ne pas trop en faire, de rester dans un minimalisme presque austère. Les amateurs de basses seront toutefois servis lors de nombreuses séquences flash immersives au cœur des atomes, ou des scènes marquantes de raccords sonores (les pieds de la foule par exemple).

10
10
bonus
- L'histoire de notre temps : le making of (72')
- Innovations cinématographiques : filmer en N&B et en 65 mm (8')
- Conférence de presse (35')
- Mettre fin à la guerre : Oppenheimer et la bombe atomique (87')
- Bandes-annonces
- Blu-Ray du film seul + Blu-Ray bonus

Cette édition 4K présente des compléments de tout premier ordre montrant en permanence le degré de rigueur et le travail colossal entrepris par toutes les équipes du film. Un passage obligé pour tout comprendre de la technique pure et dure de l'image et des caméras (avec découpage et collage du négatif 65 mm original !), les musiciens poussés jusque dans leurs derniers retranchements pour accélérer la musique de façon non‑numérique, la volonté de rester « vrai » (tout ce qui s'est passé à Fort Alamo pendant ces deux années capitales a été très documenté, 4 000 personnes s'y trouvaient), ou encore l'élément déclencheur de Christopher Nolan : son fils lui déclarant, tout simplement (c'était avant la guerre en UKraine) qu'il ne se sentait pas particulièrement en danger par la bombe atomique. Ainsi qu'un détail historique et scientifique complètement hallucinant  : la possibilité infime mais possible à l'époque pour Oppenheimer et ses équipes, lors du tout premier test, d'embraser par réaction en chaîne l'atmosphère, donc la Terre…

 

Lors de la conférence de presse, réunissant des physiciens du monde entier et un des auteurs du biopic qui a servi de support au film (le second est décédé deux semaines après avoir été prévenu qu'un projet sérieux était en cours), on est estomaqués d'apprendre que l'ouvrage de 700 pages en question, American Prometheus, a été écrit sur 25 ans. Un livre et un film totalement hors normes. Concernant le sujet très actuel du film, Nolan ajoute que les concepteurs des IA aujourd'hui se trouvent aujourd'hui à peu près « dans leur moment Oppenheimer »… À méditer.

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