Nymphomaniac Vol.1
Ce fut, peut‑être, le film le plus attendu de l’année 2013, d’autant plus que son réalisateur, déclaré persona non grata au Festival de Cannes depuis sa fameuse conférence de presse post‑Melancholia, semble avoir pris un malin plaisir à orchestrer un marketing viral particulièrement efficace. À coups de teasers, de déclarations et d’affiches sulfureuses, Lars von Trier a su créer autour de son Nymphomaniac une attente importante.
Cette stratégie publicitaire n’est, chez lui, pas nouvelle. Ses détracteurs considèrent même que depuis une vingtaine d’années (Les idiots ? Dogville ?), elle lui tient lieu d’unique programme. Enfin, la sortie du film en salles en deux volumes et la censure consentie par Lars von Trier pour passer d’une version explicite de 5h30 (présentée à Berlin) à celle de 4h (qui sort ces jours-ci en DVD) compliquent encore un peu plus le problème, et assignent au spectateur la position d’une vache à lait devant payer quatre fois sa place pour pouvoir découvrir la version complète du film. Idem pour la sortie vidéo morcelée et confusante : sortie du DVD du volume 1 le 5 mai et du volume 2 le 3 juin. 3 juin, soit la date de sortie également du coffret complet en Blu-Ray. Et pour la version longue non censurée des deux films, il faudra encore attendre l'édition Collector annoncée en octobre 2014.
Que raconte Nymphomaniac ? Le film est‑il à la hauteur des attentes ? Comme toujours chez Lars von Trier, la provocation n’est pas loin, mais pas là où on le croit : passé un écran noir d’une minute et trente secondes ‑manière pour lui de nous dire que finalement, il n’y aura rien à voir‑ le film s’ouvre sur le corps cabossé d’une jeune femme, Joe (Charlotte Gainsbourg), bientôt recueillie par Seligman, un professeur vieillissant (Stellan Skarsgård). Que s’est‑il passé ? Comment en est‑elle arrivée là ? Qui est elle ? Toutes ces questions feront l’objet d’une gigantesque séance (et dispositif) d’explication et de fiction : de l’enfance à l’âge adulte, le film empile les flashbacks sur différents épisodes de la vie de Joe, nymphomane patentée qui vit son « anormalité » comme un problème, voire comme une malédiction dont elle finira, dans le volume 2, par vouloir se guérir.
D’abord interprétée par Stacy Martin, jeune mannequin anglais dont le rôle (et l’interprétation) évoque la Marine Vacth de Jeune et jolie de François Ozon, Joe appartient bien à la famille des personnages de LVT, obsédés par le Mal (Breaking the Waves, Antichrist) et cherchant une forme de rédemption au terme d’un parcours volontiers apocalyptique. Comme souvent chez LVT, l’intérêt du film, dont la forme mélange culture haute, inserts explicites, effets de distanciation, moments grotesques (le rôle très soap opera d’une femme trompée jouée par Uma Thurman, la mort du père), éclats brillants et trucs d’imposteurs, réside ailleurs que dans sa promesse : ici, la provocation ne passe pas par le sexe (du cul, mais rien de vraiment désirable), mais par la façon dont Lars von Trier semble mettre à l’épreuve notre capacité à distinguer la vulgarité (la drague et la pêche à la couche !) du génie. À vous de trancher.