Music by John Williams
Des combats épiques dans l'espace, un aventurier armé d'un lasso, des dinosaures dans une plaine, un vélo qui s'envole face à la Lune… Quelques notes suffisent et c'est un torrent d'images qui vous revient. Après plus de 60 ans de carrière, John Williams reste une légende de la musique de film, un compositeur qui a marqué l'imaginaire collectif avec ses thèmes orchestraux entêtants et sans lequel des films comme Star Wars ou Les dents de la mer n'auraient peut‑être pas eu le même impact dans la culture populaire. Ce n'est donc que justice qu'un documentaire soit consacré à celui qui a passé sa vie à essayer de rendre le cinéma plus fort, plus grand. Et contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, Music by John Williams ne tombe pas dans une litanie ronflante d'éloges et d'autocongratulations, loin de là. L'amour de la musique qui émane de ce documentaire est en réalité un hommage précieux à ce géant, dernier de son genre à Hollywood.
John Williams se raconte
Évidemment, entre la réalisation façon film d'entreprise de Laurent Bouzereau (Faye) ou le ton propret de Disney qui produit le film et possède désormais la quasi‑totalité des œuvres auxquelles John Williams a participé, la biographie proposée par Music by John Williams n'est pas forcément un miracle d'inventivité ou d'audace, ayant la main lourde sur les compliments de manière répétitive et donnant parfois la parole à des invités prestigieux mais aux contributions inutiles (mention spéciale à Chris Martin, le chanteur de Coldplay, interrogé parce que son groupe entre sur scène en concert sur la musique de E.T…). Malgré ces quelques désagréments, le documentaire a la chance d'avoir le meilleur des interlocuteurs : John Williams lui‑même qui, du haut de ses 92 ans, se prête avec humilité à cet exercice rétrospectif. Fils de musiciens, poussé par son père à travailler de longues heures au piano pour en faire sa carrière, c'est par hasard qu'il découvre le monde du cinéma, d'abord en tant qu'interprète. C'est ainsi que le jeune John Williams, pianiste anonyme, a pu jouer pour des réalisations aussi prestigieuses que Breakfast at Tiffany's, La garçonnière ou encore West Side Story.
Williams‑Spielberg, une amitié sans faille
De fil en aiguille, par le jeu des opportunités, c'est vers la composition qu'il se tourne à plein temps, faisant ses armes pour des séries télévisées avant de débuter au cinéma, signant des bandes originales épiques (Fiddle on the Roof en 1971, qui lui offre son premier Oscar) ou plus expérimentales (l'excellent et très contemporain Images de Robert Altman). Impressionné par ce CV et par la capacité de Williams à utiliser l'orchestre dans un contexte où de plus en plus de films de l'époque lui préféraient des chansons pop, un jeune réalisateur va alors se rapprocher du compositeur : Steven Spielberg.
Entre les deux, c'est une amitié longue d'un demi‑siècle qui débute et qui les verra collaborer sur la quasi‑totalité des films de Spielberg, de Sugarland Express à The Fabelmans. Partie intégrante du documentaire, Steven Spielberg parle avec franchise et un enthousiasme communicatif de son travail avec Williams, film après film, éclairant la relation entre un compositeur et un réalisateur : les premières discussions autour d'un film, les esquisses au piano (avec évidemment l'anecdote du thème des Dents de la mer, où Williams jouait en boucle deux notes graves au piano), et surtout le moment de l'enregistrement avec l'orchestre auquel Spielberg assiste toujours, quand la musique vient se mêler à ses images. Et il n'est pas le seul à être absolument envoûté par les partitions de Williams. Georges Lucas, J.J. Abrams, Ron Howard, Chris Colombus : tous racontent avec émotion le moment où ils ont découvert les musiques qu'il leur avait composées, et l'effet qu'elles avaient sur leur film (Colombus note que Maman j'ai raté l'avion fonctionnait beaucoup mieux face aux publics tests quand Williams a remplacé le compositeur prévu à l'origine pour le film).
Un compositeur versatile et à l'ancienne
Une symbiose permise par des heures de travail (quitte à laisser un peu sa famille de côté comme le note poliment sa fille) et par un soin absolu de la part de John Williams à aller chercher l'essence du film sur lequel il travaille. Le documentaire est en cela particulièrement passionnant quand le musicien évoque ses inspirations et montre les dessous de ses créations : les dizaines de mélodies de cinq notes testées pour le thème de Rencontre du troisième type, une composition plus abstraite laissée de côté pour une séquence du premier Star Wars, les influences jazz venues de sa jeunesse pour Attrape‑moi si tu peux.
Le documentaire s'attache à montrer ainsi un compositeur versatile, débordant de créativité, capable de jongler d'un style à l'autre, comme en 1993 quand il a suivi Spielberg sur Jurassic Park puis La liste de Schindler, passant de l'émerveillement à l'émotion. En creux, c'est aussi le portrait d'une espèce en voie de disparition qui nous est montrée : un musicien passionné par l'orchestre, refusant d'utiliser des synthétiseurs ou des techniques numériques modernes dans ses œuvres, préférant la force évocatrice et humaine d'un grand ensemble de musiciens.
Un compositeur à l'ancienne en somme, qui aura également donné beaucoup de son temps et de son énergie au monde de la musique classique en tant que chef d'orchestre pour le Boston Pops Orchestra, et cela malgré le mépris parfois affiché par certains de ses pairs qui considéraient la musique de film comme un sous‑art. Mais ces critiques sont bien risibles quand Music by John Williams filme un public de 17 000 personnes vibrant avec passion en concert face au thème de Darth Vader, puis acclamant un chef d'orchestre nonagénaire comme s'il était une pop star. C'est peut‑être ce que ce documentaire offre de plus important : une façon de dire merci à un géant.