par Émilien Villeroy
20 juillet 2020 - 12h01

Miles Davis : Birth of the Cool

année
2019
Réalisateur
AvecMiles Davis, Wayne Shorter, Quincy Jones, Juliette Gréco
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Résumer Miles Davis en moins de deux heures ? Voilà la mission que s'est donnée le réalisateur Stanley Nelson avec Birth of the Cool, rétrospective de la vie mouvementée d'un artiste dont les audaces au fil des décennies auront été autant de façons d'écrire des chapitres entiers de l'histoire du jazz.

 

Se basant sur une chronologique relativement stricte de la vie du trompettiste, le documentaire permet de suivre de près le destin individuel de Miles Davis au fil des époques, en donnant la parole à ses collaborateurs, proches et à une poignée de journalistes et biographes. Un tissu très dense de participants qui viennent chacun, par petite touche, offrir un passionnant foisonnement d'informations, entrecoupées d'une narration en voix off qui reprend des extraits de l'autobiographie de Miles Davis (lus par un imitateur plutôt convainquant de la voix abîmée de Davis !).

 

Période iconique de l'histoire du jazz, l'arrivée du musicien à New York au début des années 40 et sa carrière dans les années 50 font l'objet de beaucoup d'attention tout au long de la première moitié du documentaire, permettant d'évoquer les clubs de jazz de l'époque et l'émulation qui jaillissait alors sur scène, avec de nombreuses images d'archives permettant de faire revivre les fantômes de cette période. Un segment revient notamment sur son passage à Paris avec l'enregistrement de la mythique bande‑son d'Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle (et sa romance avec Juliette Gréco qui évoque avec tendresse cette période). Le documentaire s'attarde ensuite sur son difficile retour aux États‑Unis, traitant alors de la discrimination raciale qui minait (et mine encore) la vie des Afro‑Américains. C'est aussi cette volonté de replacer le jazz dans son époque ‑celle de l'Amérique très blanche des années 50/60‑ qui donne à Birth of the Cool un intérêt plus grand que la simple biographie d'un artiste culte. Plus tard, le documentaire revient ainsi sur l'agression de Miles Davis par des policiers new‑yorkais en 1959 ou encore ses démêlés avec son label pour lui imposer la présence des femmes noires sur les pochettes de ses albums.

 

Côté musique, Birth of the Cool s'attarde évidemment sur les différentes formations et collaborations du trompettiste, s'attachant à évoquer les albums les plus célèbres de l'artiste et donnant envie, dès la fin du générique, de réécouter des dizaines de fois ses grands disques. Son premier quintet avec John Coltrane, sa collaboration avec Gil Evans jusqu'à la sortie de Kind of Blue en 1959 occupent plus de la moitié du documentaire, retraçant la montée de Miles Davis au sommet tout en analysant ce qui a pu rendre ses albums si uniques : un son, un souffle, une attitude.

 

Partie sans doute la plus intéressante de sa carrière, les années 60 sont elles expédiées un peu plus rapidement : si la parole est donnée aux éminents membres de son deuxième quartet (dont les géants Herbie Hancock et Wayne Shorter) pour dépeindre les enregistrements avec Miles Davis (avec nombre d'anecdotes passionnantes qui montrent toute son intelligence et son audace, ne souhaitant jamais se fixer sur un seul son ou un seul style), il est étonnant de voir des albums légendaires simplement évoqués par une pochette. Ainsi, au moment du tournant « électrique » de la carrière de Miles Davis à la fin des années 60 (lorsque celui‑ci décide de s'inspirer du rock devenu genre le plus populaire de l'époque ainsi que du funk naissant), voir la narration sauter directement à Bitches Brew (1970) en omettant l'extraordinaire In a Silent Way paru l'année précédente, est un léger crève‑cœur. Mais ces ellipses ne sauraient gâcher la fête, car le documentaire réussit tout de même à résumer les mutations du jazz de Miles à cette époque charnière, allant vers une abstraction profondément novatrice (On the Corner, immense disque rythmique).

 

Comme souvent avec les rétrospectives de ce type, Birth of the Cool patine cependant dans sa dernière demi‑heure, quand il s'agit d'évoquer le come‑back de Davis dans les années 80 aux côtés de Marcus Miller pour une série d'albums à la qualité bien plus discutable : c'est alors plus son aspect de survivant que d'innovateur qui est mis en avant, jusqu'à sa mort en 1991.

 

Car la force de Birth of the Cool vient aussi de la façon dont le documentaire traite avec justesse les aspects les plus sombres de la vie de Miles Davis. Le documentaire évoque ainsi ses multiples addictions (héroïne dans les années 50, alcool et cocaïne dans les années 60, puis à peu près tout ce qui se trouve sous le soleil dans les années 70), revenant sur leurs conséquences dramatiques sur sa santé physique et mentale, et tout particulièrement sur sa tragique traversée du désert à partir de 1975 (durant laquelle il ne joua pas une note de trompette pendant plusieurs années).

 

Le réalisateur Stanley Nelson montre également dans toute son horreur un Miles Davis abusif, paranoïaque, battant ses épouses et leur imposant des décisions détestables. Et si le film explique en partie ces tendances par la relation violente entre son père et sa mère, il a également l'intelligence de donner la parole à celles qui ont partagé sa vie : en tête, Frances Taylor Davis, géniale danseuse et actrice ayant été au casting de la première édition de West Side Story, spectacle que Miles l'obligera à quitter après quelques dates par pure jalousie. Le doc revient sur leur relation aussi glamour vue de l'extérieur que terrible vécue de l'intérieur.

 

Il fallait bien ça pour dresser un portrait légitime et honnête de celui qui aura été un aussi grand musicien qu'un horrible être humain pour certaines des personnes qui ont croisé sa route. Et c'est grâce à cette attitude franche et incisive face au mythe Davis que Birth of the Cool réussit là où d'autres documentaires du même genre échouent : retracer les destinées parallèles de l'homme, de l'artiste et de son époque sans jamais baisser le regard face à la légende. 

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Tous publics
Prix : 19,99 €
disponibilité
10/04/2020
image
BD-50, 115', toutes zones
1.78
HD 1 080i (AVC)
16/9
bande-son
Anglais DTS-HD Master Audio
Anglais LPCM stéréo
sous-titres
Français, anglais, allemand, espagnol, portugais
7
10
image

Comme souvent avec les documentaires de ce type, la qualité visuelle varie d'une séquence à l'autre. Une très belle définition est proposée quand le documentaire s'attarde sur les récentes interviews des collaborateurs de Miles Davis ainsi que sur les nombreuses photographies d'archives de l'artiste. Certaines archives filmées affichent elles des résultats plus variables, mais donnent un côté rétro qui sied tout à fait à l'ambiance du documentaire.

7
10
son

Plus souvent occupée par des voix d'entretiens et par la narration tirée de l'autobiographie de Miles Davis, la bande‑son du documentaire reste très basique, les morceaux de Miles Davis occupant souvent l'arrière‑plan, avec des extraits de ses différents albums. Autant dire que les pistes DTS‑HD ou stéréo offrent donc une expérience assez similaire mais de bonne facture.

0
10
bonus
- Aucun

Pas de bonus pour l'édition Blu‑Ray standard du documentaire. Une version de luxe propose cependant un DVD bonus avec plusieurs extraits live de l'artiste (tirés de concerts donnés à Montreux en 1973, 1984 et 1985).

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