Mensonges d'État
Une petite année à peine après American Gangster, Ridley Scott revient avec un projet d’envergure. Mensonges d’État s’inscrit d’emblée dans ce qui, depuis l’effondrement des tours, est devenu un genre en soi : la guerre contre le terrorisme et ses immenses tracas. Sur le papier et pour qui se souvient de l’impressionnante Chute du Faucon Noir, Scott était sans doute l’un des hommes de la situation. Mais sur l’écran, Mensonges d’État manque cruellement d’ampleur, d’énergie et de finesse.
Scott reprend ici la structure en miroir d'American Gangster, soit une découpe binaire du monde et de ses enjeux, dont il ne parviendra jamais à se déprendre : d’un côté, un agent de la CIA (DiCaprio) infiltré en Jordanie à la recherche d’un chef d’Al Qaïda, et de l’autre, un vieux routard bedonnant des Services Secrets (Russell Crowe + 20 kg) qui, devant la cuvette de ses toilettes ou en compagnie de ses charmants chérubins, dirige sa marionnette espionne grâce à un cellulaire greffé à l'oreille. À sa femme qui sonne le tocsin du repas et le questionne sur son retard, l’homme, les deux pieds enfoncés dans la pelouse, répond : « Je sauve la civilisation ! ».
Au milieu, le chef des Services Secrets jordaniens, sorte de Tarik Ramadan en costard (Mark Strong, dont la performance écrase littéralement celle du duo Crowe/DiCaprio), élégant, beau parleur et main de fer. Bureaucrates planqués dans les jardins de Washington versus hommes de terrain bardés de cicatrices, vision abstraite et sur écrans de contrôle de la géostratégie versus expérience concrète de la réalité politique, Mensonges d’État s’en tient strictement à une série d’oppositions largement rebattues et un brin démago.
Au fond, Ridley Scott n’a rien à dire, ne possède aucune idée précise (ou nouvelle) sur la question. Et lorsque, faute de mieux, il resserre son film sur l’humanité de ses personnages, leurs sentiments profonds, c’est pour produire une bluette consensuelle avec Aïcha de service (le Proche-Orient n’est pas qu’un nid de kamikazes enturbannés) et contrepoint d’usage (l’amour, nous rappelle-t-on alors, ignore les frontières religieuses, raciales et politiques).
À la différence de Peter Berg et de son Royaume (qui reste, à ce jour, l’un des films hollywoodiens les plus convaincants consacrés à l’humeur post-11 septembre), Scott patauge dans un bain politique obscur, un Proche-Orient vu et revu, et plutôt que de retourner cette confusion à son avantage (ne rien comprendre à une situation donnée, c’est aussi un sujet de cinéma), s’en remet paresseusement aux ficelles classiques du récit d’infiltration avec vérités déguisées en mensonges et vice-versa, effets de manipulation et d’intimidation, etc.
Résultat, même les séquences d’action (pourtant l’un des points forts de Scott), parce qu’elles ne s’articulent à aucun point de vue précis, semblent apathiques, molles et inutiles. La chute du Faucon Noir date de 2001. On attend toujours le grand réveil du réalisateur d’Alien et Thelma et Louise.