Menace II Society
Un soir comme tant d'autres dans le quartier pauvre de Watts, Los Angeles. Caine et O‑Dog (Tyrin Turner et Larenz Tate), deux jeunes Afro‑américains, achètent de la bière dans une épicerie. Mais le couple de commerçants, méfiants, les presse de partir. Un mot de travers, et voilà qu'O‑Dog pète les plombs. Il sort son arme et tire sur l’homme à bout portant. Le sang coule à flot. Puis il assassine sa femme et récupère la cassette de vidéosurveillance. Abasourdi, Caine est désormais complice d'un double meurtre.
Premier film des frères Hughes, qui changeront de registre au gré de leurs longs métrages (le thriller horrifique From Hell, le post‑apocalyptique Le livre d’Eli), Menace II Society bouleversa les consciences lors de sa sortie, s’imposant comme l’un des films de société les plus puissants des années 90. Car il fallait oser proposer aux spectateurs un héros (également commentateur des événements, en voix off et à la première personne) qui tuera quelqu’un de sang‑froid. Mieux, les frangins cinéastes ont réussi à le rendre attachant, sans jamais pardonner ou justifier aucun de ses actes.
Âpre, ce drame poignant brosse un tableau sombre du ghetto de Watts. Jamais les décors de Los Angeles ne sont rendus glamour, les metteurs en scène opérant par cadrages serrés comme pour mieux traduire l’étouffement et l’emprisonnement dans ce quartier défavorisé. Drogues, vols, violence, crimes, tel est le quotidien de ces habitants, qu’ils soient bourreaux ou victimes. Ou souvent les deux.
Mais la violence revêt de multiples formes. Ici, il s’agit aussi de solitude, d’abandon, de manque d’amour, de repères, de confiance en soi et en l’avenir. Ce ne sont pas des purs « gangsta » que les frères Hughes mettent en scène, mais bel et bien des gosses paumés devenus des criminels prêts à faire couler le sang pour l’honneur. Ou pour rien. Car la vie n’a plus aucune valeur à leurs yeux, pas même la leur.
À grand renfort de G‑funk (ou gangsta funk, style de hip‑hop issu de la côte ouest des États‑Unis), les jumeaux réalisateurs créent le décalage entre la bande originale, groovy et sautillante malgré les « explicit lyrics », et la violence des images, crue et frontale. On pouvait craindre une banalisation du crime, voire une glorification involontaire d’un milieu, provoquant un détachement du spectateur par rapport aux actions des personnages. Mais la descente aux enfers arrive, insoutenable, et ne laisse planer aucun doute : on ne sort pas indemne des flammes.