Mandela, un long chemin vers la liberté
Le parcours de Nelson Mandela, modeste avocat qui, à la suite d’un épuisant combat politique, va réussir à modifier le quotidien et l’avenir de son pays, l’Afrique du Sud.
Comment retranscrire à l’écran le destin de l’un des plus extraordinaires hommes d’État du XXe siècle ? D’abord trouver le bon interprète : le subtil Idris Elba paraissait, de prime abord, le meilleur choix. L’acteur sait jouer la nuance, il l’a prouvé dans les séries The Wire (Sur écoute) et Luther, même si Hollywood le cantonne encore injustement à des seconds rôles caricaturaux (Prometheus, Pacific Rim, Thor…). On pourrait objecter que le colosse Elba ne ressemble pas du tout à Nelson Mandela. Mais le choix reste malgré tout défendable tant l’acteur met de la ferveur dans son interprétation. Le comédien britannique arrive à restituer le ton, la rythmique verbale, l'accent, les gestes et même la démarche très particulière de Mandela !
Reste ensuite à trouver le bon réalisateur et le bon ton. Et c’est là que le film pêche. Car l’œuvre de Mandela parle d’elle‑même : cet homme a réalisé l'impensable et sacrifié tout ce qui lui était cher (son couple, sa famille, ses enfants) pour une cause jugée supérieure : son pays. Cela n’est pourtant pas le parti pris du film de Justin Chadwick qui, malgré un postulat inverse, livre une très lisse hagiographie du leader sud‑africain.
Le film démarre quasiment en carte postale : de courtes séquences censées montrer des instantanés de la prise de conscience politique de Mandela, ne laissant pas aux acteurs le temps de donner chair et substance aux événements. La suite, bien que très documentée, tant dans les décors que les costumes (notamment la partie sur le bagne de Robben Island), est plus apaisée en termes de rythme mais reste au diapason : les images sont splendidement composées ‑on flirte parfois avec l’esthétique publicitaire‑ mais on s’éloigne toujours plus des vrais hommes, des vraies souffrances. Chadwick a si peur de « rater » l’émotion qu’il injecte une musique sirupeuse dès qu’il le peut pour soutenir ‑en fait affaiblir‑ l'impact de ses scènes. La séquence de libération de Mandela en est le plus parfait exemple.
Chadwick n’a pourtant pas tout faux. Le traitement réservé à la polémique Winnie Mandela, incarnée par l’intense Naomie Harris, le prouve. Partisane de l’action violente, femme en révolte, meneuse empoisonnée par sa solitude, Winnie ‑malgré ses décisions parfois atroces‑ est ici dépeinte avec une grande honnêteté, dans sa grandeur, dans sa douleur et dans ses débords. C’est un personnage en épaisseur, une humanité qui, souvent, trébuche.
Mandel ne profite hélas pas du même traitement : considéré comme la statue du Commandeur, nulle égratignure, nulle aspérité ne doit écorner le grand homme. Tout juste accorde‑t‑on au spectateur que Mandela aimait être élégant et plaire aux femmes... Mais à être trop révérent, le film donne du coup au combat de Mandela une dimension irréaliste : à ne jamais le voir reculer ou même hésiter, Madiba cesse à l’écran d’être un humain pour devenir une plus confortable icône.
Ce choix est extrêmement regrettable car, pour bien mesurer l’ampleur de ce que ce géant parmi les hommes a accompli, il fallait justement le restituer dans sa vérité, ses failles et ses défauts. Idris Elba lutte tant qu’il peut ‑il réalise même de petits prodiges subtils (rencontre avec sa fille au parloir)‑ mais la mise en image hyper‑révérencieuse de Justin Chadwick emporte tout dans un polaroïd aseptisé.