par Émilien Villeroy
04 mars 2025 - 10h39

Love to Love You, Donna Summer

année
2023
Réalisateurs
AvecDonna Summer, Brooklyn Sudano
plateforme
genre
disponibilité
23/02/2025
notes
critique
4.5
10
A

Les enfants sont‑ils les mieux placés pour raconter la vie de leurs parents ? Cette proximité est‑elle réellement un gage de vérité ? Ces questions se posent en regardant Love to Love You, Donna Summer, un documentaire dédié à l'immense chanteuse américaine, co‑réalisé par Roger Ross Williams et Brooklyn Sudano, la fille de Donna Summer, à l'origine du projet. Souhaitant montrer des facettes plus intimes et fragiles de sa mère, au‑delà du vernis brillant de son statut d'icône du disco, Sudano se met elle‑même en scène, interroge différents membres de sa fratrie, fouille dans les archives familiales et laisse voir de très nombreuses vidéos privées, filmées par Donna et ses proches : après‑midi sur une terrasse ensoleillée, jeux d'une mère avec ses filles et autres scènes de la vie familiale. Mieux, la voix de Summer reste présente au cœur du film grâce à des enregistrements audio qui ont pu être réalisés lors de l'écriture de ses mémoires, Ordinary Girl, en 2003. Mais cette manne d'images et de mots, aussi rare et inédite soit‑elle, ne peut compenser l'absence totale de direction qui accable ce documentaire, échouant à éclairer aussi bien la femme que l'artiste.

 

Une carrière brillante, mais piètrement racontée

Il y a pourtant tant à voir et tant à dire à propos de Donna Summer : sa présence électrique sur scène, ses collaborations avec des producteurs de génie, et cette succession de singles qui ont été les plus révolutionnaires et jouissifs de toute l'ère du disco. Un destin qui s'est d'abord construit de l'autre côté de l'Atlantique : la jeune chanteuse, venue d'un milieu modeste à Boston, avait entamé sa carrière à New York dans un groupe psychédélique, avant de s'envoler à la fin des années 60 pour l'Allemagne pour jouer dans la comédie musicale Hair. Elle restera dans le pays pendant plusieurs années, devenant relativement populaire avant de faire la rencontre du producteur Giorgio Moroder. Ensemble, ils mettront sur bande‑son un premier tube, Love To Love You Baby, morceau sensuel et hypnotique qui sera étendu dans une version monstre de 20 minutes à la demande du producteur américain Neil Bogart. Coup de génie, la carrière de Summer est lancée et son retour aux États‑Unis marque le début d'une période de créativité incroyable.

 

Et pourtant, le documentaire peine à faire comprendre l'importance qu'a eue la musique de Donna Summer sur l'histoire de la pop moderne. Ne donnant quasiment pas la parole à ses musiciens (Moroder a le droit à une minute d'intervention dans tout le film), affichant une chronologie confuse et parfois erronée (on nous raconte l'histoire du morceau Bad Girls sorti en 1979 puis on voit un présentateur télé décrire l'album Once Upon a Time sorti deux ans avant…), le film passe sous silence tout ce qui fait de ses albums, des classiques. Alors qu'elle était la reine des albums concepts, pas une mention est faite par exemple de son I Remember Yesterday, qui racontait en huit morceaux l'histoire de la pop du XXe siècle, commençant par des inspirations années 40 avant de se conclure avec un morceau symbolisant la musique du futur : I Feel Love, tube disco électronique ahurissant qui fit faire au disco et à la pop un bon de géant en termes de production. Un morceau culte qui n'a le droit ici qu'à une petite anecdote de 45 secondes, en plus d'une version live incomplète en ouverture du film. Alors que le documentaire rabâche qu'elle était « bien plus que la reine du disco », rien ne nous est concrètement montré pour véritablement célébrer la musique et la créativité de cette musicienne, restant sur les rails ronflants du documentaire musical sans fougue ni génie, page Wikipedia où il manquerait la moitié des paragraphes, sauvé de l'ennui par de belles images d'archives.

 

 

Un récit intime mais lacunaire

On voudrait alors se rattraper avec un récit plus intime, donnant à voir la femme derrière l'icône. Mais là encore, le documentaire se prend les pieds dans le tapis en offrant un propos confus, changeant de sujet en permanence, incapable de concilier la fragilité et la grandeur. Sur les images granuleuses d'hier, Donna Summer apparaît complexe et fascinante, à la fois pudique dans son attitude et enthousiaste quand il s'agit de parler de son art, capable d'effacer ses doutes sur scène pour devenir un personnage complètement différent, un travail qu'elle considérait comme étant celui d'une actrice. Et c'est autant un plaisir de voir ses concerts, où elle tient le public en haleine avec seulement quelques notes, que ces séquences intimes où elle chante She Works Hard For the Money en tenant ses filles dans les bras. Mais cet entourage familial peine à dépeindre qui était réellement Summer. En voix off, on entend Brooklyn Sudano échanger longuement avec ses sœurs, et particulièrement la première fille de Summer, Mimi, née en 73 en Allemagne et que sa mère a dû délaisser quand sa carrière s'est lancée. Mais ce point de vue reste incomplet. Que peut‑on savoir de sa propre mère ? En voulant appuyer sur cette dissonance entre la musicienne et la mère, le film n'éclaircit aucun mystère, nous laisse du côté d'enfants qui n'ont jamais eu qu'une partie de l'histoire sous leurs yeux, là où un regard extérieur aurait permis d'offrir peut‑être d'autres points de vue.

 

De la même manière, cette proximité rend le documentaire incapable d'appuyer sur les points les plus douloureux de la carrière de Summer, en particulier sur les propos qu'elle avait tenus en 1983. Convertie chrétienne Born Again, elle avait lancé sur scène « It was Adam and Eve, not Adam and Steve », ce qui avait choqué les communautés homosexuelles de l'époque, parmi les plus fervents défenseurs de ses singles à ses débuts, alors que le sida faisait rage. D'abord silencieuse, Summer récusera ces propos mais une partie de son public ne se remettra jamais de cette affaire. Face à ce sujet sensible, le documentaire cherche des circonstances atténuantes (« elle parlait beaucoup sur scène, elle faisait plein de blagues, parfois sur les vêtements de gens du public », nous indique‑t‑on) mais passe à côté du sujet, élude la relation entre le public queer et la musique de Summer (et même ses collaborations avec Paul Jabara, compositeur qui mourra du sida dans les années 90). Tout ce contexte historique semble ne pas intéresser les documentaristes, qui en reviennent toujours à la mère, la personne intime, sans pour autant nous en apprendre plus que cela sur elle. Bien sûr, en sortant du documentaire, la mission est accomplie, tant on n'a qu'une envie, réécouter les albums de Donna Summer et tomber des nues à nouveau face à certains de leurs moments les plus visionnaires. Mais à l'issue des 100 minutes de Love to Love You, Donna Summer, pas sûr qu'il nous reste grand‑chose de ce portrait brouillon et finalement lacunaire d'une telle artiste.

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