Little Big Man
Arthur Penn a épousé de façon souvent exemplaire les grands courants de son époque, de la veine paranoïaque typique du début des années 60 (Mickey One) au western progressiste dont Little Big Man donna même le coup d’envoi, en passant par le film enquête post‑Watergate (La fugue). Penn appartient à cette génération de réalisateurs qui, à l’aune des années 60, effectuèrent la transition entre une logique de studio encore arc‑boutée sur des principes classiques, et ce que l’on baptisera le Nouvel Hollywood. Bonnie & Clyde, qu’il réalise en 1967, fut le film déclencheur de cette métamorphose en même temps qu’un précipité génial de son cinéma.
Au début de Little Big Man (1970), le jeune Jack Crabe (Dustin Hoffman) assiste au massacre de ses parents par les Sioux, avant d’être recueilli et élevé par eux. Dans La fugue, Gene Hackman part à la recherche d’une adolescente qui s’est enfui de chez elle avant de comprendre que sa famille est la source du Mal. Pour Billy the Kid (Le Gaucher), la mort du père adoptif constitue la scène qui déterminera sa vie future.
L’absence d’une figure parentale et le déséquilibre qu’elle produit comptent parmi les thèmes centraux des films de Penn et Little Big Man, qui adapte le roman picaresque de Thomas Berger, en offre le meilleur exemple. C’est sans doute ce qui explique que son œuvre ait pu s’inscrire si naturellement à l’intérieur d’une période de transition, politique et cinématographique, où il fallut bien faire le deuil des pères (le cinéma classique) et bâtir en même temps de nouvelles fondations.
Construit sous la forme d’un récit rétrospectif (c’est un vieillard de 121 ans qui nous raconte son histoire), Little Big Man suit le parcours de Jack Crabb, petit Blanc programmé pour être un colon comme les autres qui, un jour, est enlevé aux siens par les Cheyennes. Une autre vie commence pour lui, faite d’allers et retours entre son peuple de sang et son peuple de cœur, entre les Blancs conquérants et des Indiens en voie d’extinction.
La puissance de Little Big Man, au‑delà de la performance prodigieuse de Dustin Hoffman, tient surtout dans la manière dont Penn entremêle les niveaux de lecture, croise la petite histoire et la grande, saute d’un registre à un autre, de la comédie bouffonne (toutes les séquences d’initiation avec Faye Dunaway) à la pure tragédie (le massacre des villages Indiens, la bataille de Little Big Horn), de la critique des mythes américains à la naïveté d’un monde vu à hauteur d’un candide.
Un classique qui, après La horde sauvage réalisé la même année, redonna un second souffle au western américain.