Lili Marleen
Zurich, 1938. Willie (Hanna Schygulla), chanteuse de cabaret, est passionnément amoureuse de Robert (Giancarlo Giannini), un musicien d’origine juive, chargé d’aider ses compatriotes à fuir l’Allemagne. Cette liaison, loin d’être approuvée par le père de celui‑ci, est brutalement interrompue lorsque, à l’issue d’un contrôle à la frontière, la jeune femme est contrainte de rester sur le territoire allemand.
Lili Marleen, du nom d’une chanson sans succès enregistrée avant la guerre, offre à Willie la consécration sous le régime nazi, au point de devenir l’hymne des soldats envoyés au front. Sa carrière fulgurante n’efface pas pour autant ses sentiments pour Robert, marié contre son gré de son côté.
Film de commande, peu goûté par Fassbinder lui‑même, Lili Marleen joue la carte de l’ambiguïté avec son héroïne aryenne, propulsée sur le devant d’une scène figée dans un décor d’apparat et flanquée d’un éclairage clinquant. La chanson, forte d’une empreinte nostalgique, finit par ressembler à une ritournelle entêtée. D’ailleurs, elle tourne en boucle dans la cellule de Robert, capturé par les Allemands. La voix de sa bien‑aimée devient alors un instrument de torture.
L’hymne, qui se veut impartial, rassemble les troupes et scinde l’opinion de l’élite : certains hauts gradés ne l’approuvent pas, à la différence d’Hitler, qui l’adore. Mais Fassbinder (cinéaste germanique de surcroît) évite la vague « nazi‑rétro » qui le guette. On devine sa matrice, soit Les damnés de Luchino Visconti (1969). La mise en abyme opère et lâche dans une arène figée, flamboyante mais mortifère, des personnages désincarnés.
Qu’il s’agisse de manipulation insidieuse ou de passivité, le couple impossible devient objet malléable à souhait. D’un côté comme de l’autre, l’Histoire édicte ses règles de tranchées. Willie ne finit‑elle pas par trouver un prétexte ambigu à sa collaboration au détriment de Robert ? « Je suis de ton côté. Aussi longtemps que je vivrai, je serai toujours de ton côté. Mais quand on veut survivre, on ne peut pas toujours choisir de vivre comme on veut ». Et Robert, à son tour, ne choisit‑il pas le carcan familial et l’ovation du public, au lieu de rejoindre son amour au terme du film ? Comme si ce dernier appartenait déjà au temps révolu et pourtant si proche de la guerre. Une merveille.