Les Sept de Chicago
Chicago, 1969. La convention des Démocrates à Chicago l’année précédente a été marquée par des heurts extrêmement violents entre manifestants antiguerre du Vietnam et forces de police. Pour répondre des blessés et déprédations, le nouveau président Nixon veut faire un exemple. Il exhorte son ministre de la Justice à faire condamner sept activistes, des meneurs du rassemblement de 1968, au motif fallacieux d’une pseudo‑conspiration. Pour faire bonne mesure, un huitième homme, Bobby Seale, l’un des cofondateurs du mouvement afro‑américain Black Panther, rejoint les accusés. Commence alors une des plus ahurissantes instances de l’histoire judiciaire américaine.
Après Le grand jeu, le célèbre scénariste Aaron Sorkin (À la Maison‑Blanche, The Social Network, Steve Jobs) repasse derrière la caméra pour livrer son second film : Les sept de Chicago. Si cette scandaleuse affaire de procès politique est bien connue aux États‑Unis, il n’en va pas de même chez nous. Citons en guise d’apéritif un juge partial à la limite de la sénilité, le tabassage d’un mis en examen trop insolent, l’absence d’avocats pour certains prévenus ou encore les preuves éclatantes laissées de côté… Aaron Sorkin doit donc ouvrir son film avec une lourde triple tâche, à la fois dépeindre rapidement le contexte de la fin des années 60, exposer ses protagonistes, accusateurs et accusés, ainsi que les forces qu’ils représentent (l’opposition à la guerre du Vietnam, les Black Panthers, le nouveau gouvernement Nixon).
Il faut constater que le réalisateur ne s’en sort pas très bien initialement. Les premières minutes, bien que très rythmées en termes de montage, s’avèrent hélas assez brouillonnes. Mais, et c’est heureux, elles restent intelligibles. Car Sorkin, scénariste vétéran, va beaucoup mieux s’en tirer par la suite. Contrairement à ce qu’on pourrait craindre, Les Sept de Chicago n’est pas qu’un film de prétoire avec des champs/contrechamps mécaniques. Souvent, le réalisateur tente des incursions à l’extérieur et dépeint certains événements grâce à d’habiles flashbacks, parfois des petits coups de théâtre qui offrent une belle relance à l’histoire. Le montage énergique du film, loin de donner dans d'interminables couloirs, donne un élan constamment renouvelé à l'intrigue.
Mais la véritable force du récit tient surtout à son incroyable casting mené de main de maître par Eddie Redmayne (Les animaux fantastiques), Sacha Baron Cohen (Borat, The Dictator), Jeremy Strong (Succession) et Joseph Gordon‑Levitt (Don Jon, Inception). Sans parler des très intenses guests interprétés par Frank Langella et Michael Keaton. On est particulièrement frappé par l’humanité du jeu d’Eddie Redmayne, l’aisance de Sacha Baron Cohen à basculer de l’insolence à la tragédie. Ou encore par la création étonnante de Jeremy Strong, qui campe ici avec conviction un personnage antithèse du requin qu’il incarne dans Succession.
Au‑delà de ces premiers violons, l’écriture et la mise en scène d’Aaron Sorkin s’avèrent habiles à présenter et faire vivre ces personnages, tous hors du commun, à travers leurs réactions et leurs interactions. On regrette simplement que le temps manque un peu au réalisateur pour s’attarder sur un passionnant comparse secondaire. Le procureur Richard Schultz interprété par de Joseph Gordon‑Levitt, homme coincé entre son ambition, sa rectitude morale et un changement d’époque qu’il ne comprend pas totalement, aurait mérité plus de temps d’écran.
S’il ne révolutionne pas film de prétoire, Les Sept de Chicago a deux grands mérites. Celui de souligner avec une belle pertinence l’actualité toujours pendante des idéaux de ses protagonistes ainsi que de rappeler les questions, elles aussi très contemporaines, qu’ils posent à toute démocratie. À voir.