Les indestructibles
Seul dans l'enclos grisâtre qui lui sert maintenant de bureau, le musculeux Bob Parr se souvient de l’époque glorieuse des super‑héros. Une période faste dont il était l'égérie, sous le modeste sobriquet de Mr Indestructible, jusqu'à ce qu'un décret le déclare, lui et ses collègues, hors‑la‑loi. Dommages collatéraux obligent, l'État jugea exorbitants les coûts des dégâts occasionnés par leurs missions tonitruantes. C'était l'Amérique de la confiance, de l'arrogance même (en chacun sommeille un super‑héros), en bref, l'Amérique d'avant le 11 septembre 2001.
Depuis, Bob mène une petite vie tranquille typique de la middle‑class (maisonnée en banlieue, pelouse tondue au millimètre, stade le dimanche) et tente de réprimer les super‑pulsions de sa femme, ex‑Elastigirl, et de ses trois rejetons, tous doués de dons hors normes. Mais un super‑méchant terroriste vivant dans un QG super‑design sur une île volcanique, gonflé aux hormones « jamesbondesques » et nourri à La guerre des mondes, décide bientôt d'instaurer la terreur afin de récolter plus tard les bénéfices du rétablissement de l'Ordre. Incrediboy, c'est son nom, sans doute une version hirsute et gueularde de Bush… C'est alors que la super‑famille jette aux orties le pacifisme ambiant (type Le géant de fer, le précédent film de Brad Bird en 1999) et part à la reconquête de l'Amérique.
Production Pixar, Les indestructibles constitue d'abord une « incroyable » réussite visuelle, qui emprunte autant à l'univers gadgetisé des Thunderbirds qu'à l'esthétique minimaliste des Fifties (véritable âge d'or de l'Amérique). Ensuite, ce film post-11 septembre (deux des trois enfants du couple Indestructible sont nés après, et ont intégré le principe du profil bas : « Cache tes super‑pouvoirs ! », dit le père), renouvelle la litanie sur la différence que les studios Pixar nous servaient depuis Toy Story.
Car en Amérique, nous dit le film, il y a deux types de super‑pouvoirs : ceux mal acquis qui trahissent les idéaux de Jefferson (comprendre ceux exercés sous l'administration Bush), et ceux consubstantiels à l'Amérique, fondés sur la liberté et l'individualisme (l'État traité comme un monstre bureaucratique et impuissant). La question est alors lâchée : comment réconcilier l'Amérique avec elle‑même (Bob encourage son super‑fils à toujours occuper la seconde place lors de ses courses d’athlétisme) ?
Autrement dit, comment réaffirmer sans la dévoyer la puissance ontologique de la Nation ? Une réussite totale dotée d'une dernière demi-heure éblouissante.