Les garçons et Guillaume, à table !
Guillaume est un garçon. En apparence. Car, à l'inverse de ses frères, beaux mecs virils aimant s'adonner au foot ou à la chasse avec Père, Guillaume préfère se rêver princesse, imiter sa mère, grande bourgeoise au caractère bien trempé, ou les femmes de la famille qu'il admire tant. Guillaume n'a rien du mâle dominant. Guillaume est donc homo. Aux yeux des autres…
Tandis que certains opposants au mariage homosexuel et à la théorie du genre continuent de jeter de l'huile sur le feu, allant jusqu'à s'attaquer à des œuvres de cinéma ‑appel ridicule au boycott de Tomboy lors de sa diffusion sur Arte, le 19 février, censure tout aussi ridicule de l'affiche de L'inconnu du lac-, voir le cinéma s'emparer frontalement et avec humour de ces questions procure un plaisir jubilatoire.
Alors qu'Almodóvar s'amusait avec ses Amants passagers (sorti en mars 2013), où la loufoquerie grivoise dissimulait quelque chose de plus amer et sombre ‑éternelle dispute d'Eros et de Thanatos‑, Guillaume Gallienne abordait cette année, avec Les garçons et Guillaume, à table !, la problématique du genre d'un point de vue plus universel.
Car cette comédie, premier long métrage de Gallienne en tant que réalisateur, adapté de son propre spectacle en solo, est avant tout un beau film sur la différence. Celle qui fait notre singularité mais qui ne peut s'épanouir dans une société conformiste où toutes les petites filles sont des fées et les garçons des chevaliers (voir l'affiche de la Manif pour tous).
Mais revenons au cinéma : car Guillaume Gallienne, loin de tomber dans l'écueil du théâtre filmé, s'amuse de ce nouveau matériau qui s'offre à lui, empile les niveaux de réalité et de narration pour faire pénétrer le spectateur dans les arcanes mentaux de son héros, alias lui‑même. Ainsi, son imaginaire déploie de nombreux univers où il s'épanche (la scène, où il est seul, s'adressant à un public plongé dans le noir ; sa chambre, se métamorphosant en fastueux château où il devient Sissi impératrice…), souvent coupé par l'irruption de son omnisciente de mère, envahissante jusque dans les recoins les plus secrets de ses pensées.
Brillante idée d'avoir choisi de jouer à la fois sa mère et lui‑même, tant le procédé renforce à la fois le sentiment de schizophrénie de l'adolescent, mais aussi la fusion entre Maman et son garçon. Surtout, Guillaume Gallienne, sociétaire de la Comédie‑Française, parvient grâce à sa finesse de jeu à nous faire oublier sa double présence à l'écran : finalement, on n'y voit qu'une mère, à la fois dure, élégante, aimante, cassante, et son fils, petite chose fragile et paumée, béat d'admiration pour les femmes et cherchant son identité au‑delà des étiquettes.
Rythmée par ses truculentes saynètes (de l'apprentissage du flamenco en Espagne à la pension anglaise, en passant par la cure en Bavière…), truffée de belles idées de montage, emmenée par une bande originale (Supertramp ‑sans doute la plus belle scène du film‑, Queen…) qui lui confère une classe très anglo‑saxonne, cette franche comédie réserve des moments particulièrement poignants, où tout un chacun pourra ressentir aisément les souffrances d'un être incompris et rangé dans un tiroir trop étriqué. Autobiographique certes, mais jamais nombriliste.