Leonard Cohen : Bird on a Wire
Longue et mouvementée est l'histoire de Bird on the Wire, documentaire de Tony Palmer consacré au regretté Leonard Cohen. Tourné en 1972 durant une grande tournée du poète et compositeur canadien, le film avait purement et simplement disparu pendant plusieurs décennies. La faute à des désaccords autour du premier montage, que Cohen trouvait trop « frontal » selon ses dires, et qui empêchèrent ce document précieux de voir le jour à l'époque, à part dans quelques rares salles en 1974 et remonté pour l'occasion. Il aura finalement fallu attendre 2010 pour que Tony Palmer puisse remettre la main sur ses rushes et reconstruire son documentaire en se basant sur le seul élément qui avait survécu aux années : la bande sonore du film. C'est donc un film rare que Blaq Out propose de découvrir en DVD. Mieux : une plongée sans filet dans le tumulte d'une période complexe de la vie de Leonard Cohen.
En effet, en 1972, sa carrière menace de tourner au vinaigre. Malgré une popularité réelle (particulièrement auprès de la gent féminine comme en témoigne le film), le chanteur traverse un passage à vide suite au succès tiède de son troisième album, Songs of Love and Hate (1971). Son label Columbia est à deux doigts de rompre son contrat et Cohen est alors contraint à une tournée en Europe qui semble le plonger dans une dépression profonde. Pire, son manager l'oblige à être filmé d'un bout à l'autre du voyage pour un documentaire.
C'est donc dans l'atmosphère étrange, nerveuse et émotionnelle d'une période que Cohen lui‑même qualifiera rétrospectivement de « confuse et sans direction » que nous plonge Bird on the Wire. Filmé sans restrictions, avec la crudité puissante du cinéma direct, le documentaire peint le portrait d'un artiste épuisé au cours d'une série de dates parasitées par des problèmes techniques et humains récurrents. À Berlin, après un concert tendu, la caméra capture une ahurissante dispute en coulisse entre Cohen et des spectateurs demandant un remboursement suite à l'explosion d'un speaker qui avait obligé le groupe à raccourcir leur concert. À Tel‑Aviv, le groupe assiste impuissant à des bagarres entre le public et les forces de sécurité. Une succession d'imprévus qui culmine à Jérusalem, dernière date de la tournée, où un Cohen bouleversé décide d'interrompre son show en plein milieu pour aller pleurer en coulisse.
Mais jamais Bird on the Wire ne tombe dans le voyeurisme ou l'irrespect. Au contraire, c'est un portrait à fleur de peau absolument touchant qu'a réussi à capturer Tony Palmer. On y voit un artiste infiniment humain, en proie aux doutes et à la mélancolie, mais aussi la belle énergie d'un groupe de musiciens sur les routes et continuant d'avancer coûte que coûte. Le tourbillon intime est ainsi éclairé par la beauté des performances sur scène. Suzanne, The Partisan, Chelsea Hotel, Story of Isaac : les plus grands morceaux du poète sont là, dans des interprétations superbes. Évitant tous les écueils typiques du film de tournée pour venir saisir la vérité d'un moment crucial de la carrière d'un artiste, Bird on the Wire est un grand documentaire dont la renaissance est un miracle à ne pas manquer.