Le toubib
Peu d’acteurs peuvent se targuer d’avoir su passer du cinéma le plus populaire (tous ses polars des années 80, de Parole de flic à Ne réveillez pas un flic qui dort) au cinéma d’auteur pur et dur. Antonioni, Godard, Blier et d’autres ont en effet éprouvé le besoin de se frotter un jour au monstre.
Après quelques comédies populaires, Delon trouve ainsi son premier grand rôle en 1960 sous la caméra de René Clément qui lui offre le rôle de M. Ripley dans Plein soleil, une adaptation éblouissante d’un roman de Patricia Highsmith. Un an plus tard, il est choisi par Luchino Visconti pour incarner le jeune boxeur Rocco dans Rocco et ses frères. Sa carrière est lancée et Delon tournera avec les plus grands : Losey (il sera l’impénétrable M. Klein), Antonioni (L’éclipse), Visconti à nouveau (Le Guépard) et surtout Jean‑Pierre Melville dont il fut l’égérie à partir de 1967 et Le Samouraï.
Au cours des années 70, la carrière de Delon se déplace vers l’Amérique : il tourne avec Burt Lancaster dans Scorpio de Michael Winner, Terence Young dans Soleil rouge et même Airport 80, un film catastrophe dispensable.
1979 marque sans doute pour lui un tournant. C’est l’époque où Delon le producteur prend véritablement le pouvoir sur sa carrière. L’homme devient son propre patron et les réalisateurs qu’il choisit ont pour tâche principale de construire l’image de la star. Delon retrouve ici Pierre Granier‑Deferre, avec lequel il avait déjà tourné La race des seigneurs et La veuve Couderc, pour l’adaptation d’un roman de Jean Freustié, Harmonie ou les horreurs de la guerre.
L’action se situe dans le futur, pendant une hypothétique Troisième Guerre mondiale, quelque part dans la campagne française. Là, sur le front, des équipes médicales dirigées par un chirurgien atrabilaire (Jean‑Marie, alias Delon) tentent de soulager les souffrances des blessés. L’arrivée d’une jeune infirmière, Harmonie (Véronique Jeannot, qui fut imposée par Delon), va modifier la donne et redonner à Jean‑Marie le goût de la vie.
Plus à l’aise dans les films intimistes que dans le grand spectacle (on ne voit rien du conflit), Granier‑Deferre signe un film bancal, étrange, sans véritable progression narrative. Entre deux séquences de ballets d’hélicos filmées platement, la salle confinée des opérations et les moments de détente dans la cantine du camp, Le toubib se repose intégralement sur le charisme de Delon, impeccable, autour duquel émerge un nouvelle génération d’acteurs, dont Giraudeau et le jeune Bacri.