Le terminal
Viktor Navorski (Tom Hanks) débarque à l'aéroport de New York au moment précis où son pays, la Kracozie, subit un coup d'État. Entre un passeport soudainement invalide et l'impossibilité de retourner dans un pays qui n'existe plus, Viktor se retrouve coincé dans le bocal. Soit des mois d'attente au cours desquels il se liera d'amitié avec un échantillon du melting‑pot local ‑c'est là que les choses se gâtent‑, autrement dit une brochette de sous‑techniciens de surface pour lesquels le rêve américain se résume à une pizza réchauffée entre potes et à une séance de jonglage après le travail.
Pour Docteur Spielberg, que l'on avait pu croire converti, sur le tard, à la nécessité de penser désormais un peu plus au monde qui nous entoure qu'aux teenagers caramélisés, voici donc l'antidote que nous attentions tous en 2004 : « Je voulais tourner un film qui vous rende heureux et vous fasse sourire. Je crois que nous en avons besoin actuellement, et c'est ce que les films hollywoodiens sont censés faire dans les périodes difficiles » (rien n'a donc changé depuis 2004…). Divertir donc, c'est faire écran. Et le bonhomme en sait quelque chose.
Finalement, le cinéma de Spielberg, conservateur jusqu'à la lie, oscille entre ces deux extrêmes imaginaires : les dinosaures d'un côté, l'enclos édénique formé par une communauté humaine de l'autre. Mais sans jamais passer par la case réalité.
Dans l'aéroport de Spielberg, c'est comme si le 11 septembre n'avait jamais existé. On y vit à l'heure des amourettes faciles, de l'immigration conviviale (sans papiers ? So What ?) et des caméras de surveillance qui ne servent qu'à cadrer un homme en peignoir. L'Amérique sécuritaire de Bush s'est évaporée dans les limbes d'un improbable pays d'Oz, territoire régi par un petit fonctionnaire chauve, odieux et sympathique (à la fin, tout le monde se réconcilie et assiste, ahuri, au départ de Viktor pour Big Apple), obnubilé par sa future promotion à la tête de l'aéroport.
Avec son Terminal bien‑nommé, Spielberg atteint sans doute le summum de cette méthode Coué, mélange indistinct de cynisme, d'aveuglement paradoxal (tout va mal mais tout va bien), et d'utopisme ado (dégoulinons ensemble bons sentiments). Sans doute, Tom Hanks, sorte de Forrest Gump remasterisé à la Vodka, constitue‑t‑il l'alter ego du cinéaste : un benêt hyper‑malin qui croit que sa bulle en carton‑pâte est le monde.