Le Samouraï
Le tueur à gages Jef Costello est méthodique et solitaire, toujours minutieux et calme dans l’exécution de son travail. Un jour, Valérie, pianiste de club de jazz, est témoin d’un de ses meurtres.
Delon en large
Réalisé en 1967 par un Jean‑Pierre Melville en pleine maîtrise de son art, Le Samouraï est totalement au service de son acteur principal : Alain Delon. À la fois sauvage, impassible et en même temps empli d’une fragilité larvée que l’on sent à fleur de peau, l’acteur, dans une économie de mots et de gestes, arrive à incarner à lui seul la quintessence de la fragilité masculine sous le vernis de la virilité la plus animale.
C’est l’un de ses rôles les plus iconiques (avec Le Guépard, La piscine et Mr. Klein) et ce n’est pas un hasard. Tout est pensé dans le moindre détail. La vraisemblance n’est pas le but recherché ni par l’acteur, ni par son réalisateur. Tous deux sont dans l’épure et le signifiant. Tout est stylisé et radical. Le film en devient totalement intemporel, par certains aspects. Même si par d’autres, il reste malheureusement diablement daté, voire parfois risible (le passage « 007 » ne fonctionne plus vraiment). C’est ce qui fait son charme aussi, sans doute.
Mais une chose perdure près de 60 ans après sa sortie : l’harmonie entre Delon et Melville, palpable dans chaque scène. Chaque geste de l’un, chaque cadre de l’autre sont mûrement pensés et se répondent presque. Chaque parole prononcée par Delon, chaque mouvement de caméra vont dans un même sens : casser l’armure de celui que l’on appelle Le Samouraï/Delon pour in fine le rendre humain.
Melville de lumière
Pour son premier film couleur, on ne peut pas dire que le réalisateur fasse exploser les rétines des spectateurs. Au contraire, son Samouraï est tout en nuance de gris et de bleu foncé, et bien sûr, c’est à dessein. Tel un peintre ou un musicien, Jean‑Pierre Melville suggère, via une maîtrise totale de sa caméra, en quelques traits seulement, quel homme se cache derrière le trench‑coat et le Fédora, devenus si iconiques depuis.
Il joue avec le spectateur en inventant de toutes pièces la citation d’entrée de film qu’il attribue au livre du Bushido et qui sied à merveille à son acteur, éternel ex‑Guépard : « Il n'y a pas de plus profonde solitude que celle du samouraï, si ce n'est celle du tigre dans la jungle, peut‑être… ». Il joue avec la stature de Delon en lui offrant un rôle quasi mutique et statique à l’opposé de ses compositions précédentes. Et même avec l’image de Delon lui‑même, en lui offrant pour partenaire sa propre femme (Nathalie) à qui, perfidement sans doute, il confie le rôle de son alibi. Le réalisateur sait ce qu'il filme et ceux qu'il filme : un polar à l'ironie mordante pour qui sait lire entre les lignes.
Près de 60 ans après sa sortie, ce Samouraï se redécouvre sans cesse. On est frappé, encore aujourd’hui et en cette semaine noire pour le cinéma français, par sa modernité filmique. Cet assassinat filmé quasi en temps réel ou la scène de la pose du mouchard également étirée dans le temps pourraient avoir été filmés hier. Deux moments qui se répondent symboliquement d’ailleurs, mettant dos à dos les méthodes de la pègre et celles de la police.
Rares sont les films qui auront eu autant d’influence sur la vision sublimée du gangster au cinéma (John Woo, Tarantino…), rien que pour cela, il est incontournable.