Le livre d'Eli
Deux façons d’aborder le dernier long métrage des frères Hughes, auteurs d’un formidable film méconnu (Dead Presidents en 1995) puis d’un honorable From Hell. Le prendre à la lettre, au risque de finir les yeux écarquillés devant un tel ratage, ou bien armé d’un énième degré salvateur qui ferait passer La passion du Christ de Mel Gibson pour un manifeste pré‑Vatican III.
Le livre d’Eli, peut‑on lire dans le dossier de presse, relève moins de l’industrie hollywoodienne que d’une révélation, d’une mission mystique menée espèces trébuchantes par le producteur Joel Silver et l’acteur Denzel Washington. Les forces occultes et bigotes ont toujours tenté d’influer souterrainement la production hollywoodienne -du code Hays aux protestations organisées par des ligues puritaines contre des films jugés blasphématoires-, mais celui des frères Hughes pousse le vice un cran plus loin.
Dans une Amérique dévastée par une guerre atomique, un homme solitaire tente d’atteindre l’Ouest du pays. À coups de machettes et avec l’aide de Dieu (qui, occasionnellement, se transforme en gilet pare‑balles), notre illuminé protège un mystérieux livre (en fait, la Bible, dont ce serait l’ultime exemplaire) de hordes de sauvages cradingues et dégénérés dirigés par un certain Carnegie (Gary Oldman), tyran en col fourré et fan de Mussolini, désireux de mettre la main sur cet ouvrage censé accroître son pouvoir de manipulation.
Esthétiquement, Le livre d’Eli ressemble à une série Z italienne gonflée aux hormones de blockbuster, sorte de version pontifiante de Mad Max ou des Guerriers du Bronx passée au filtre sépia façon Belle des Champs post‑apocalyptique. Car notre homme, à l’image du film, a entendu une voix, peut‑être un hululement divin échappé d’une ancienne pub pour le Chaussée aux Moines. Depuis, la foi guide chacun de ses pas et ce gros livre, qu’il relit chaque soir depuis trente hivers, assurera, c’est écrit, la rédemption d’une humanité perdue.
Pourtant, cette foi justifie tous les moyens. L’avènement de Dieu souffrira bien quelques massacres, et les manquements aux commandements, comme les contradictions de fond, se succèdent : tu ne tueras point, sauf si tu en as envie ; tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain sauf si elle ressemble à la chaumière du Magicien d’Oz ; tu ne le déroberas point à moins que ses pompes soient plus seyantes que les tiennes, etc.
La pilule est si grosse, le sérieux du film si papal, que l’on se demande si l’on n'assiste pas à un cas d’hypnose collective ou à un hypothétique syndrome Sara Palin. Seul bon point : la B.O atmosphérique d’Atticus Ross.