Le Guépard
Des quatorze films réalisés par Luchino Visconti, Le Guépard, son septième et Palme d’or au Festival de Cannes 1963, est sans doute son plus célèbre. Le réalisateur de Rocco et ses frères et de Mort à Venise s’attaque ici au best‑seller italien de l’après‑guerre, un monument de la littérature transalpine.
Unique roman de Giuseppe Tomasi de Lampedusa publié à titre posthume en 1959, Le Guépard débute en mai 1860, lorsque Garibaldi débarque en Sicile. Depuis sa villa de Palerme, le prince Salina (Burt Lancaster) regarde de loin ce séisme politique qui conduira bientôt à l’unification de l’Italie. Pourtant, il décide d’aider son neveu, Tancrède Falconeri (Alain Delon) qui, attiré par l’aventure révolutionnaire, part rejoindre l’expédition des Mille, ces fameux combattants volontaires ayant suivi le héros du Risorgimento dans sa marche sur la capitale sicilienne.
Salina et sa famille s’installent alors dans leur résidence secondaire à Donnafugata. Là, Tancrède tombe sous le charme d’Angelica (Claudia Cardinale), la fille du maire, Don Calogero Sedara (Paolo Stoppa), un propriétaire foncier que Salina méprise mais dont il a compris le pouvoir grandissant en ces temps de poussée républicaine. Faisant fi de l’amour de sa propre fille Concetta pour son jeune et séduisant neveu, Don Fabrizio décide d’organiser le mariage entre Tancrède, l’aristocrate désargenté, et Angelica, la roturière fortunée.
Tous les personnages du Guépard fonctionnent comme des métaphores et des archétypes d’un certain rapport à une Histoire qui s’emballe. Deux types de comportement se dessinent : ceux qui emboîtent le pas de cette Italie nouvelle en passe de s’unifier, à l’image du couple Tancrère/Angelica, les agents de l’immobilisme (Don Cicico, porte‑voix d’un peuple sicilien hostile à toute forme de changement et le Père Pirrone, symbole d’une Église conservatrice), les grands bénéficiaires de cette bourgeoisie montante (Don Calogero), et ceux, Don Fabrizio bien sûr et la vieille aristocratie qu’il incarne, qui n’ont d’autres solutions que de passer la main a minima.
D’abord prévu pour Marlon Brando qui, dix ans plus tard, fera de Don Corleone dans Le Parrain une sorte de Guépard mafieux, le rôle de Don Fabrizio, le prince de Salina, échut à Burt Lancaster, star athlétique du cinéma hollywoodien qui, à l’époque, a déjà tourné trente‑huit films. Métamorphosé ici en aristocrate vieillissant et raffiné, Lancaster avouera s’être inspiré de Visconti lui‑même et de ses origines, ces Visconti di Modrone, grande famille lombarde dont Luchino était issu, afin d’interpréter ce Don Fabrizio décrit par Lampedusa comme un « Hercule Farnèse » imposant. Un chef‑d’œuvre doté de scènes inédites qui ressort enfin dans une splendide copie restaurée, supervisée par Martin Scorsese lui‑même via The Film Foundation.