Le cercle des neiges
Si les pépites se font rares sur Netflix, elles ont parfois le mérite d’exister, et dans le cas du Cercle des neiges du réalisateur espagnol Juan Antonio Bayona (L’orphelinat), elle est énorme. Inspiré d’une histoire vraie, le film met en scène en 1972, dans la Cordillère des Andes, le crash d’un avion uruguayen qui verra seulement 16 personnes sur 45 s’en sortir vivantes après 70 jours d’épreuves épouvantables, y compris finir par se nourrir des cadavres des autres passagers.
Ce fait divers connu dans le monde entier a déjà fait l’objet en 1993 d’un long métrage intitulé Les survivants réalisé par Frank Marshall. Cette fois‑ci, à partir de récents témoignages (joueurs rescapés de équipe de rugby qui étaient dans l'avion, proches, autorités…), le réalisateur espagnol tente d’apporter un regard neuf, en tout cas audacieux car basé sur tous les sens, y compris celui de la spiritualité. Au‑delà du crash, séquence particulièrement réaliste et où l’on reconnaît la patte de celui qui a mis en œuvre la scène du tsunami dans The Impossible, c’est une plongée en apnée suffocante et sensible auprès de passagers qui luttent pour leur survie à laquelle nous invite le metteur en scène. La reconstitution du drame n’est pas que matérielle et factuelle, la mise en scène et le scénario ne sont pas que classiques et formels, tout le film baigne dans une atmosphère sensorielle presque spirituelle animée par des variations de couleurs, une alternance de gros plans et d'horizons lointains, des changements de focale ou des mixages sonores finament travaillés pour mieux souligner et varier les émotions.
Le ressenti est si fort que peu à peu, c’est un lien intime qui se crée entre les passagers en train de lutter pour survivre et les spectateurs. On s'identifie forcément et il n’est pas rare qu’au détour d’un geste, d’un mot, d’un regard, d’une réaction face à une situation extrême, on se reconnaisse… Le film interroge le grand tabou, montre l’imontrable de manière respectueuse et n’hésite pas, parfois, à basculer vers l’irrationnel en adoptant le point de vue et le ressenti d’un passager déjà mort.
Souvent, avec ce genre de film, on se dit qu’un documentaire aurait suffi. Le film de Bayona prouve le contraire et va plus loin en offrant un ressenti que seuls des acteurs, tous remarquables, pouvaient faire passer. Un point de vue audacieux que seule une caméra et un véritable auteur pouvaient faire passer. Enfin, une narration courageuse que bien peu de producteurs assument aujourd'hui. En ça, Le cercle des neiges renoue avec un grand cinéma au service d’une grande histoire. Un film pur de cinéma qui conjugue aussi bien spectaculaire que vision d'auteur, et tout cela sur Netflix.