Le canardeur
Après avoir signé le scénario de Magnum Force, correctif subtil du radical Dirty Harry réalisé par Don Siegel trois ans plus tôt, le débutant Michael Cimino écrit Le canardeur et propose à la star du moment, Clint Eastwood, le rôle principal. Contre toute attente, Eastwood accepte et ira même jusqu’à produire le film, sous l’égide de sa jeune compagnie Malpaso.
Pourtant, si Le canardeur ressemble de loin à un road‑movie typique de ceux qui fleurissent dans le cinéma américain des années 70, de près, il s’en écarte souvent, cherchant sans cesse l’équilibre entre l’enthousiasme juvénile de Lighfoot, idéaliste paumé interprété par Jeff Bridges, et Thunderbolt, un ancien de la guerre de Corée et ex‑casseur de coffre, dépositaire d’un monde déjà classique en voie de disparition.
Certains des grands thèmes du cinéma du futur réalisateur de Voyage au bout de l’enfer sont déjà présents : l’omniprésence de la nature (le film fut tourné dans le Montana et Cimino a repéré tous les lieux en parcourant la ligne de l’expédition menée par Lewis et Clark au tout du début du XIXe siècle), l’incertitude existentielle de l’homme confronté à son immensité et ce sentiment si proustien que les choses arrivent enfin, mais trop tard.
Ici, c’est une petite école de l’époque des pionniers qui permet à Cimino de nouer les deux fils trajectoires qui se croisent pendant tout le film : d’un côté le récit classique de deux hommes en quête d’un butin (et tous les codes du genre respectés en surface), de l’autre, la conviction très fordienne que le rêve d’Amérique existe encore, quelque part et en dépit des blessures de l’Histoire, au cœur de ses grands espaces.
Après l’énorme succès obtenu par Le canardeur, Eastwood propose à Cimino de produire ses trois prochains films. Mais ce dernier refuse : « Je ne voulais pas me sentir prisonnier et faire trois films avec le même acteur. Je ne sais pas ce qui ce serait passer si j’avais accepté. N’importe qui d’autre aurait dit oui ! C’est peut-être la plus grosse erreur que j’ai jamais faite ? Qui peut savoir aujourd’hui ? ».