Laurent Garnier : Off the Record
Des milliers de personnes transpirant les unes contre les autres dans des petites salles obscures, immenses foules insouciantes qui dansent sur des beats puissants jusqu’au point du jour. Après des mois de salles de concerts et de clubs fermés, le visionnage du documentaire Laurent Garnier : Off the Record a quelque chose de tout bêtement rafraîchissant, tant une envie de fête et de musique revenue dans le monde physique déborde de ses images et de son récit. Une vitalité qui sied bien à l'essence même de ce film : une déclaration d’amour et une histoire orale des musiques house et techno, depuis les années 80 jusqu’à nos jours, en suivant le parcours d’un de ses plus respectés ambassadeurs.
Être sur scène et jouer pour son public
Au centre de ce récit, on retrouve donc le DJ et producteur français Laurent Garnier, très impliqué dans le développement de ce documentaire biographique aux côtés du jeune réalisateur Gabin Rivoire. Figure tutélaire des musiques électroniques, il a parcouru le monde entier, croisant sur son chemin les héros de la techno. Suivre ses débuts au milieu des années 80 a donc quelque chose de la leçon d’histoire : les premières scènes d’un jeune Français qui travaille à mi‑temps dans la restauration tout en animant des soirées dans le club culte Haçienda à Manchester en 1987, puis l’arrivée de la techno en France avec des soirées au Rex Club ou au Palace, et les raves plus ou moins autorisées aux quatre coins du globe. Plus de trente ans plus tard, Laurent Garnier, 55 ans, jette un regard enthousiaste sur ces années d’apprentissage, autant pour lui que pour cette house music qu’il aimait tant, montrant la trajectoire d’un jeune mordu de musique qui n’avait envie que d’une chose : être sur scène et jouer pour son public. Une page d'histoire que le documentaire illustre de manière assez classique, mais avec de belles archives qui donnent le ton de ces années électroniques.
Aux origines
Loin de vouloir seulement brosser le portrait ronflant d’un musicien sur lequel tout le monde a quelque chose de gentil à dire, Laurent Garnier : Off the Record fait surtout honneur à son sujet en voulant, comme lui, être prescripteur. Et tout comme Garnier a pu être au début des années 90 le VRP dans ses sets des scènes techno et acid house les plus visionnaires, ce documentaire s’attache aussi à donner la parole à tout le gratin des musiques électroniques de son époque. Jeff Mills, Carl Cox, Manu Le Malin, Quentin Dupieux… la liste des invités est aussi prestigieuse qu’exhaustive, mais sert avant tout à célébrer la techno par ceux qui l’ont faite et continuent de la faire.
L’occasion de rappeler ses origines (dans la dureté de Detroit ou de Chicago de la fin des années 80), ses plus belles pages, mais aussi ses luttes : donner une voix aux minorités qui l’ont créée, offrir un espace de liberté pour la jeunesse et lutter contre un establishment qui aura diabolisé ces artistes et leurs fans pendant des années (et tout particulièrement en France). Une dynamique profondément collective basée sur un respect mutuel qui transpire des nombreuses interviews que Gabin Rivoire est allé tourner en suivant Laurent Garnier sur la route.
Acid Tracks, 1987
Il y a évidemment une certaine ironie à voir la techno, si sauvage et si décriée, trouver une légitimité un poil poussiéreuse dans le dernier tiers du documentaire ou dans les scènes coupées : croix de la Légion d’Honneur pour Garnier, concerts prestigieux à Paris dont une salle Pleyel face à un public assis (mais qui finit par se lever), expositions à la Cité de la Musique à Paris. La furieuse radicalité des débuts semble bien éteinte aujourd’hui dans l’écrin de la respectabilité, et voir Jack Lang, certes instigateur de la première Techno Parade parisienne en 1998, prendre la parole à plusieurs reprises pour vanter les mérites de la techno est mille fois moins exaltant que d’entendre DJ Pierre raconter une demi‑heure plus tôt comment il a co‑composé le classique Acid Tracks en 1987 avec son Roland 303.
Pourtant, pour les artistes interrogés tout au long du documentaire, l’histoire continue, ailleurs, autrement : d’autres scènes, d’autres pays et d’autres artistes, qui réinventent le genre sans barrières, et qu’il nous reste à découvrir et faire découvrir. Et c’est sans doute là que se trouve la plus belle réussite de ce documentaire passionné, qui donne des envies de nuits blanches et de musiques neuves.