par Nicolas Bellet
08 juillet 2024 - 15h48

La zone d'intérêt

VO
The Zone of Interest
année
2024
Réalisateur
InterprètesChristian Friedel, Sandra Hüller
éditeur
genre
sortie
05/07/2024
notes
critique
7
10
A
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Durant la Seconde Guerre mondiale, le quotidien du commandant Rudolf Höss et de sa famille, dans une maison dotée d'un grand jardin. On est à Auschwitz et les domestiques sont des prisonniers du camp situé de l’autre côté du mur d’enceinte de la maison.

Murs, murs
Si La zone d'intérêt (nom donné par les Nazis au périmètre de vie entourant les camps de la mort), adaptation du roman éponyme de Martin Amis, a remporté l’Oscar du Meilleur film étranger, le Grand Prix à Cannes et pléthore d’autres prix internationaux, ce n’est certainement pas le fruit du hasard. Avec son quatrième film, Jonathan Glazer propose un moment de cinéma rare, non seulement dans ce qu’il raconte (la solution finale dans ce qu’elle avait de plus banal), mais aussi dans ce qu'il montre. Ici, le fond est au service de la forme, et vice‑versa.


Pour ce faire, le réalisateur est allé jusqu’au bout de l’expérimentation en tournant presque sur place, à quelques mètres du véritable camp d’Auschwitz, en laissant une grande part d’improvisation à ses acteurs laissés libres de leurs mouvements et de leurs paroles, dans une maison à l’échelle 1/1, éclairée à la lumière du jour et où les caméras étaient téléguidées et cachées. Une mise en scène expérimentale qui place les personnages en rats de laboratoire et les spectateurs en scientifiques avides de les comprendre.


Il en résulte un film froid où le quotidien d’une famille a priori lambda devient glaçant. La banalisation de l’horreur a lieu sous nos yeux, complices de savoir ce qui se passe derrière les murs de la maison, et sous nos oreilles qui arrivent à décrypter les vagues de bruits sourds que l’on perçoit au loin, tout au long du film. L’image et le son du film sont monstrueux, dans tous les sens du terme.


La mise en scène de La zone d'intérêt est implacable (tout comme le jeu des acteurs et surtout l'excellente Sandra Hüller, Anatomie d'une chute). Peu à peu, elle se fait anxiogène et étouffante, il est impossible de s’en extraire, comme il est impossible de s’extraire de cette maison et de son enclos de briques. Au fur et à mesure que le film avance, le spectateur est fasciné et horrifié par ce quotidien terne d’une famille qui semble ou feint d’ignorer l’innommable qui se produit de l’autre côté des murs de son jardin si bucolique.


Une zone à défendre
Toutefois, cette visite dans les tréfonds les plus glaçants de l'âme humaine n’est pas sans défauts. Le premier d’entre eux étant que le film dépasse rarement son procédé formel où, comme son titre l’annonce, de sa « zone d'intérêt ». Il en résulte un métrage quelque peu répétitif. Bien sûr, la fascination qu’il génère vient aussi de cette répétition, mais la précision clinique et le minimalisme de la mise en scène peuvent sans doute assez vite lasser, une fois que l’on a saisi le contraste monstrueux qui se joue sous nos yeux.


Le second reproche qu’on pourra faire au film dépasse quelque peu le cadre du pur cinéma et ne sera pas tranché dans ses lignes, puisqu’il existe depuis 80 ans : peut‑on esthétiser la Shoah, ce que fait indéniablement le film ? Les avis sont tranchés et demeurent personnels, mais il est certain que le film de Glaser laisse un petit goût amer. Ce n’est pas la scène finale qui tente maladroitement, ou tout du moins de façon assez ambiguë, de rattraper Rudolf Höss (Christian Friedel) pris soudain de vomissement comme ayant une violente épiphanie, ou la dernière scène du film sur les femmes de ménage d’aujourd’hui, qui pourront éclairer différemment La zone d’intérêt.


Reste que le film est une admirable leçon de cinéma et une perpétuelle interrogation sur notre passivité face à l’horreur et la fascination qu’elle engendre.

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4k
cover
The Zone of Interest
Prix : 29,99 €
disponibilité
08/07/2024
image
1 UHD-66 + 1 BD-50, 104', couleurs
2.35
HD 2 160p (HEVC)
HDR10
16/9
bande-son
Allemand DTS-HD Master Audio 5.1
Allemand DTS-HD Master Audio 2.0
sous-titres
Français (imposé) pour sourds et malentendants
8
10
image

Précise, extrêmement lisible, chirurgicale et glaçante, l'image de La zone d'intérêt présente dans le même temps une photographie assez éteinte et neutre. Le HDR10 joue parfaitement son rôle sans être démonstratif. La faute de goût est donc évitée tout en provoquant chez le spectateur, grâce à divers artifices, une sensation assez irréelle en montrant dans un même cadre à la fois une certaine douceur de vivre et l'horreur absolue. 

8
10
son

Une bande‑son dissonante, peu harmonieuse, laissant passer des bribes d'horreur, au loin. Parfaitement orchestrée et sans fioritures, cette partition est bien sûr très intelligente et adaptée au propos. À la fois froide et dotée d'une belle activité arrière, comme pour mieux nous immerger. Un pari réussi en VO. En VF, le film perd tout son sens.

5
10
bonus
- Entretien avec Antoine Desrues, critique de cinéma (32')
- Secrets de tournage (8')
- Making of (32')

Assez brut de tournage, quasi muet, le making of de 30 minutes est lui aussi assez particulier. On apprécie toutefois d'en savoir plus sur le principe presque « Dogme » du film : pas de matériel lourd, peu d'éclairage, des caméras fixes visibles ou cachées, les acteurs évoluant comme sur un plateau de jeu. L'entretien avec le critique de cinéma Antoine Desrues revient sur la grande question qui agite le cinéma au sujet de la Soah : peut‑on l'esthétiser pour mieux la faire comprendre ? Sans doute les 9 heures de film de Claude Lanzmann, Shoah (1985) ont‑elles déjà posé les bases de l'inégalable dans le domaine.

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