La vérité
Fabienne (Catherine Deneuve) est une star du cinéma français depuis des décennies. Élevée dans son ombre, sa fille Lumir (Juliette Binoche) est partie faire sa vie à New York, devenant scénariste et épousant un acteur américain de série télé (Ethan Hawk). La publication des Mémoires de sa mère pousse Lumir à revenir en France pour revoir cette dernière dans sa maison parisienne, accompagnée par son époux et sa fille. Mais les retrouvailles et les souvenirs volontairement fragmentaires du livre de Fabienne font ressortir de vieilles rancœurs et des secrets inavoués.
Voilà un nouveau pas de côté pour le réalisateur Hirokazu Kore‑Eda. Après s'être essayé au polar avec le très mineur The Third Murder en 2017, le génie du cinéma japonais tente de délocaliser son cinéma en France ‑un défi de son aveu même‑ avec son nouveau long métrage, intitulé La vérité, deux ans après avoir remporté la Palme d'Or pour le miracle Une affaire de famille.
L'occasion pour lui de réunir deux grands actrices qui n'avaient jamais jouées ensemble dans un duel mère‑fille lui permettant de filer à nouveau ses thèmes fétiches : qu'est‑ce qu'une famille ? Et comment ses membres se construisent les uns par rapport aux autres ? Mais c'est cette fois‑ci sous le prisme du cinéma et de la fiction que se construit cette histoire de filiation heurtée par les non‑dits. Entre les deux femmes, un fantôme èrre depuis des années, surgissant du passé via les traits d'une jeune actrice avec laquelle Fabienne tourne un film de science‑fiction. En faisant de ses héroïnes une actrice mythique et une scénariste de l'ombre, Kore‑Eda interroge l'histoire familiale et ses interactions, en tant que rôles à tenir face à l'autre, cherchant à déceler ce qui sépare le mensonge de la simple fiction intime.
C'est lorsque cinéma et famille se croisent dans un troublant jeu de miroir que La vérité est le plus touchant : quand Fabienne demande à sa fille de lui écrire des répliques pour présenter ses excuses à quelqu'un, c'est à la fois l'actrice qui parle, mais aussi la mère qui n'a jamais su trouver les bons mots face aux blessures qu'elle a pu infliger. À cela s'ajoute la dimension métafictionnelle du film. Difficile ainsi de ne pas voir Catherine Deneuve comme une version d'elle‑même affublée de presque toutes les tares que ses critiques pourraient lui attribuer : septuagénaire pédante et égoïste qui enchaîne les piques entre deux cigarettes, fuyant les responsabilités et la vieillesse comme elle peut. Il y a une évidente fascination à voir l'actrice Deneuve et son rôle se confondre.
Dommage cependant que toutes ces belles idées n'aboutissent qu'à un résultat somme toute très mineur et lesté par des défauts qu'on n'a pourtant pas l'habitude de retrouver chez le réalisateur japonais. En tête, une écriture souvent lourde au niveau des dialogues, avec des séquences voulues comiques qui finissent par agacer. Comme si la traduction du cinéma de Kore‑Eda lui avait fait perdre tout un pan de sa palette de couleurs : Ethan Hawk n'intéressera personne plus de cinq secondes dans son rôle de papa un peu paumé qui ne comprend pas un mot de français, et la jeune Clémentine Grenier n'arrive jamais à toucher autant que les autres enfants des films de Kore‑Eda (qui les filme pourtant si bien !), coincée par un rôle trop bancal que le scénario semble oublier à mi‑chemin.
Plus globalement, La vérité peine à émouvoir. La faute sans doute au cadre très bourgeois de son intrigue (exacerbée par ses évocations sans éclat du petit monde du cinéma) avec une succession de disputes sans vrais enjeux dans cette grande maison de campagne située pourtant au cœur de Paris (« J'avais oublié qu'on pouvait entendre le métro », lance Juliette Binoche dans le jardin à un moment ; nous aussi). On est bien loin de la beauté infiniment plus tragique et vitale de la petite bande d'Une affaire de Famille ou des gamins à la dérive de Nobody Knows. Et si Kore‑Eda réussit ainsi à émuler une certaine tendance du cinéma français ‑celui des règlements de comptes familiaux dans des grands intérieurs‑, on aurait préféré qu'il laisse plutôt ce créneau à un Assayas.