La route des Indes
Lorsqu’il débute le tournage de La route des Indes (adaptation d’un roman éponyme de l’auteur britannique E.M Foster), David Lean n’a pas tourné depuis quatorze ans et n’est plus, aux yeux d’Hollywood, qu’un vétéran au placard du cinéma grand spectacle. Le réalisateur, certes, de Lawrence d’Arabie et du Pont de la rivière Kwai, mais dont le dernier film ‑La fille de Ryan (un bide)‑ date de 1970.
En ce milieu des années 1980, le goût du mélodrame, l’ampleur romanesque, l’éveil d’une jeune femme à ses propres désirs, tranchent violemment avec un cinéma de divertissement qui oscille entre la testostérone de John Rambo et les yuppies de Wall Street. Le récit du film se situe dans les années 1920, lorsque l’Inde est encore le plus beau joyau de la couronne britannique. Adela (Judy Davis) et Mrs. Moore, sa future belle‑mère, embarquent pour ce pays que la Vieille Angleterre, rigide et ségrégationniste, tient d’une main de fer.
Très vite, Adela étouffe au milieu des rituels guindés de sa classe et souffre de l’absence de contact avec cette Inde majestueuse qu’elle a fantasmée. Peu à peu, tandis que son fiancé perd de son aura, la jeune femme se rapproche de la population autochtone, sort des sentiers battus de la bienséance de Chandrapore et se lie d’amitié avec le Docteur Aziz, un homme fasciné par la culture anglaise. Celui-ci va lui faire découvrir la beauté de ce monde envoûtant et inconnu. Mais au cours de la visite des grottes de Marabar, lieu magique situé sur les contreforts de l’Himalaya, un événement dramatique survient qui va rebattre toutes les cartes.
En 1954, dans le méconnu Vacances à Venise (toujours chez Carlotta), Katharine Hepburn, institutrice de l’Ohio un peu guindée, succombait déjà au charme vénéneux d’un pays et découvrait, via le pouvoir charmeur de l’exotisme, la part insoupçonnée de ses désirs. Dans La route des Indes, Lean retrouve un personnage féminin mis au contact d’un monde étrange, un personnage déterminé et rêveur, proche des héros des films de Lean.
Ici, comme dans Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, l’intime et la grande Histoire s’entremêlent, et l’aventure d’Adela croise bientôt celle de la colonisation, dont le film enregistre la fin. C’est avec ce film que David Lean a mis un terme à sa carrière, et c’est une merveille.