La Prima Linea
3 janvier 1982. Sergio Segio se rend à la prison de Rovigo, bardé d’armes et d’explosifs, afin de libérer sa petite amie, Suzanna Ronconi. Sur la route, ciel grisou et ambiance requiem, Sergio se souvient de sa rencontre avec Suzanna et surtout de ses années de Plomb passées dans La Prima Linea, organisation d’extrême‑gauche qui, aux côtés des célèbres Brigades Rouges, installa la terreur dans l’Italie des années 70. Attentats, enlèvements, fusillades et puis l’assassinat d’Aldo Moro en 1978, qui marqua le point d’orgue du terrorisme italien.
La Prima Linea s’inscrit dans un mouvement de relecture de ces années noires que l’on sent poindre depuis quelque temps dans le cinéma transalpin (voir notamment Arrivederci amore ciaio de Michele Soavi et Buongiorno notte de Marco Bellochio), même si les polizietti et autres gialli de l’époque s’en faisaient déjà partout l’écho.
Renato De Maria marche sur des œufs et avance par conséquent sur la pointe des pieds, craignant sans doute les effets romantiques d’une violence juvénile et politique, où se mêlent passion amoureuse et rêves d’utopie. Mais qu’est‑ce qu’une utopie qui suppose la négation de l’humanité ?, s’interroge Sergio au milieu du film, coupant ainsi court à tout risque de complaisance sur les leçons à tirer de cette lutte armée.
La Prima Linea est un film à charge qui perd en ambiguïté (après tout, la violence radicale comme forme de rébellion ne porte‑t‑elle pas en elle une part de romantisme ?) ce qu’il gagne en audace. Proche du United Red Army de Wakamatsu dont il n’a conservé que la dimension critique, le film de Renato De Maria ressemble à un long lamento, une espèce d’élégie austère qui substitue à l’idéal politique le récit d’un ratage pathétique et programmé.
La tête froide mais entre quatre murs, Sergio revient ainsi sur les différentes étapes d’un échec total : de l’assassinat d’Emilio Alessandrini en 1979, procureur de la République qui avait identifié les responsables (d’extrême‑droite) de l’attentat de la Piazza Fontana à Milan, à l’absence totale de soutien de la part de ceux, ouvriers et étudiants, au nom desquels l’organisation agissait. La Prima Linea enregistre ainsi la dérive et l’isolement progressif d’une bande d’idéalistes immatures qui n’auront, en bout de course, rien accompli. Certes, mais on aurait aimé qu’en marge de la condamnation sans appel de ces actes criminels, fut posée l’éventuelle responsabilité des institutions et des gouvernements italiens de l’époque…