La lettre du Kremlin
Réalisé en 1970, ce film d’espionnage plutôt méconnu permet de réévaluer une période souvent mal estimée de la filmographie du grand John Huston, auteur de Quand la ville dort et des Désaxés.
Trois ans après sa collaboration au désopilant Casino Royal, pastiche pop de James Bond, Huston replonge ici dans le monde de l’espionnage, au moment où la série Mission impossible de Bruce Geller déferle sur les écrans cathodiques. Mais à l’heure du Vietnam et des mouvements contestataires, la Guerre Froide n’est plus ce qu’elle était. Avec son dégel, c’est toute une partie du genre qui doit alors se renouveler et s’adapter à un contexte international en pleine mutation. Huston choisit ici de revenir sur cette Guerre Froide, mais sur un mode désabusé et abstrait.
Adapté d’un roman de Noel Behn, La lettre du Kremlin suit la partie d’échecs qui oppose espions russes et américains autour d’un mystérieux document officiel censé prouver le désir des deux blocs de contrer l’avancée de la Chine. Alambiquée, tortueuse, l’intrigue du film multiplie les histoires et les personnages parallèles, les manipulations de toutes sortes, tout comme le défilé d’acteurs célèbres (Orson Welles, Nigel Green, Max von Sydow, Richard Boone) pour un effort considérable demandé au spectateur.
Notons que Huston lui‑même apparaît au début du film dans le rôle d’un général admonestant l’un de ses jeunes espions, comme si l’ancienne génération, à laquelle Huston appartient alors, donnait des leçons de diplomatie et de morale à la nouvelle, celle des années 1970 et du Nouvel Hollywood. Une rareté qui manie l’anachronisme comme une arme secrète.