La journée de la jupe
Sonia Bergerac (Isabelle Adjani) est professeur de français dans un collège difficile de banlieue. Un jour, en tentant de confisquer le sac à dos de l’une des plus fortes têtes de la classe, elle tombe sur une arme à feu. Malgré les menaces et les insultes de l’ado, Sonia ne lâche pas prise et conserve l’arme. Elle prend alors ses élèves en otages et ne tarde pas à exhumer toutes les souffrances, la dépression, la nervosité refoulée et l’amertume qu’ils lui inspirent.
Huis clos entrecoupé de quelques séquences extérieures (la réaction des policiers, des collègues, des parents d’élèves et même de son mari), La journée de la jupe joue d’abord l’opposition classique entre victimes -qui, de surcroît, sont protégées par leur jeune âge- et la volonté d’un bourreau. Néanmoins, la finesse et la complexité du film de Lillenfeld tiennent dans le fait que, par le biais de retournements constants, élèves et professeur échangent la responsabilité de leurs actes, qu’il s’agisse de violence, de révolte désespérée ou de frustration identitaire.
Loin de la démagogie traditionnelle transformant la banlieue comme sujet à la fois tabou et sensible, ici, les points de vue divergent et les clichés (garçons et filles sapés en survêtements, Scarface de pacotille ou code de langage construit sur le mode de l’insulte) rappellent simplement l’enclave anxiogène -mais jamais insurmontable- relative à la réalité des milieux ghettoïsés. La prise d’otages devient alors la seule issue pour tenter de transmettre un savoir.
Ici, l’angoisse d’enseigner est poussée à son paroxysme et suscite nombre d’interrogations : quelles sont les conditions de possibilité de l’autorité (si elle a encore un sens) dans un milieu hostile ? Faut-il aller jusqu’à la détention d’une arme à feu pour se faire respecter ? Comment dépasser les préjugés et jugements de valeur nés du repli des minorités entre elles, ou n’est-ce finalement qu’un prétexte à la bêtise pure ?
Retenons une séquence-clé du film, ce très beau moment où les parents de Sonia viennent au collège afin de lui faire entendre raison. Au téléphone, son père lui chante une berceuse en arabe. Elle rétorque à ses élèves, surpris d’apprendre ses origines : « Je suis professeur de français ». Ainsi, l’héroïne meurtrie lutte pour ne pas être réduite à une étiquette ethnique, son seul souhait étant d’exercer son métier correctement. Une façon également de faire comprendre aux élèves l’importance de leur devenir, la nécessité de s’émanciper du carcan identitaire, dès lors qu’il emprisonne plus qu’il ne rend ouvert d’esprit.
Enfin, Adjani est formidable. Un film coup-de-poing et subtil.