La guerre des mondes
« Est-ce que ce sont des terroristes ? », demande une petite fille de 10 ans à son père, Tom Cruise, qui trop occupé à sauver sa peau et celle de ses deux enfants des tentacules suceuses de tripodes extraterrestres, ne prend pas le temps de lui répondre.
Tout le sujet est là : La guerre des mondes est‑t‑il la version noire de E.T. l'extraterrestre et de Rencontres du troisième type, l'envers post‑11 septembre et apocalyptique de l'utopique Terminal ? Ou bien un film de SF spectaculaire dont la toile de fond est la tragédie de Manhattan et qui plierait celle‑ci aux impératifs de l'entertainment ?
La première demi‑heure du film laisse augurer le meilleur, ce qui, dans la langue de Spielberg, signifie un retour à la sauvagerie de ses premières œuvres (Les dents de la mer et Duel dont il reprend le principe binaire chasseur/proie). De la brutalité, de l'arbitraire, aucun humour. C'est dans un quartier ouvrier du New Jersey que les Martiens, enterrés sous le sol américain comme des agents dormants (les pilotes islamistes ?), font leur apparition. La menace provient d'en‑bas mais frappe depuis les airs. Visuellement, le film fait l'inventaire de l'imagerie minérale du 11 septembre : ciel gris anthracite, effondrement de buildings, séquences de panique et cavales vers les ponts, nuages de cendres qui recouvrent les visages des survivants, murs placardés de portraits des disparus, etc. Séquence grandiose et belle idée : les cadavres de WTC alors réduits en poussière feront leur retour par la bouche métallique des agresseurs sous forme de torrents sanguins.
Passée cette ouverture impressionnante, Spielberg mène de front deux récits plus ou moins adroitement ‑les attaques successives des extraterrestres et le parcours d'un père divorcé et de ses deux enfants‑, et développe deux discours. Car la guerre des mondes, bien sûr, est celle qui oppose le monde islamiste à l'Amérique. Après le Jihad martien, se pose la question de la riposte (Cruise est contre, Tim Robbins, un Texans amoureux de la gâchette, est pour). Après le 11 septembre, la guerre en Irak. Le film fait alors d'une guerre deux coups puisque les Martiens, qui ne résisteront pas à l'oxygène yankee, incarnent aussi l'armée US et sa croisade vengeresse (qui aboutira, on le sait aujourd'hui, à la mort de Ben Laden), qualifiée de processus « d'extermination » moyennant un « Nous sommes tous Américains et Irakien » fédérateur. La reconstruction d'une famille vaut‑elle la destruction d'un pays ? Affirmatif. Ces millions de gens ne sont pas morts en vain, nous dit en substance la voix off de Morgan Freeman, relayant sans doute celle de la psyché américaine moyenne. Cette guerre des mondes aura au moins permis à une famille en lambeaux de se retrouver (dernière séquence). Humanisme aveugle, fondé sur le déni de la réalité qui rappelle le dernier plan du Soldat Ryan où l'on voyait le visage de Matt Damon se fondre dans celui de Tom Hanks, donnant ainsi un sens aux dizaines de milliers de morts de la tragédie d'Omaha Beach. L'anti‑Fuller (Au‑delà de la gloire) ou de Kubrick (Full Metal Jacket) en somme, qui ne visaient eux qu'à démontrer l'absurdité de la guerre.
Ce lien constant de l'intime et du collectif n'est pas neuf, c'est même un des archétypes fondateurs du cinéma américain pour lequel la grande Histoire n'est digérable que si elle s'intègre, participe, résonne avec la petite. Tout l'intérêt du cinéma d'action de ces trente dernière années, et auquel le film de Spielberg se rattache in fine, réside dans la qualité de ce dialogue, autrement dit du type de rapport entre ces deux fictions (voir l'excellent Ennemi d'État). Pour le dire vite, les ficelles (la famille d'un côté, le monde de l'autre) sont toujours les mêmes, mais les nœuds qu'elles forment diffèrent. Pour Spielberg, qui s'autorise quelques auto‑citations symptomatiques (le vélo d'E.T., les sentinelles de Minority Report), le réel surgit non pas pour s'articuler avec la fiction intime, mais pour s'y soustraire. Un principe de base spielbergien qui fonctionne à plein régime dans ce remake brillant du roman de H.G. Wells.