La forme de l'eau
Modeste femme de ménage dans un laboratoire gouvernemental, Elisa Esposito (Sally Hawkins) mène une existence routinière. Son quotidien ritualisé bascule lorsqu’elle fait la connaissance d’une étrange créature palmée ramenée d’Amérique du Sud et destinée à des expérimentations barbares.
À l'instar de son remarquable Labyrinthe de Pan (2006), lequel ouvrait la voie du merveilleux contre une réalité politique implacable (la dictature franquiste), c'est à travers le prisme du conte fantastique que La forme de l'eau explore un adage universel, redoublé d'un bel hommage au cinéma de genre. Comme si l'étrange créature de Jack Arnold (L'étrange créature du lac noir, 1954) avait été arrachée à ses fonds sud‑américains et exposée au contexte tumultueux de l'Amérique des Sixties. Le déracinement forcé s'achemine vers une romance singulière et totalement rétive à la « norme ». Muette et employée de l'ombre, Elisa s'éprend de la bête de labo amphibie, leur idylle naissante n'exigeant ni usage de la parole, ni identité sociale.
Plus humaine que l'instigateur sadique du projet ultra‑secret, Richard Strickland (Michael Shannon, Take Shelter), la créature squameuse de del Toro gagne le cœur des minorités, d'Elisa bien sûr, mais de toute cette frange des invisibles mise au ban d'une Amérique intolérante, de Giles (Richard Jenkins), son voisin et ami homosexuel, à Zelda (Octavia Spencer), sa collègue afro‑américaine brimée une fois de retour au domicile conjugal.
Avec une délicatesse rare, le cinéaste met ses talents de conteur au service d'une touchante leçon d'humanité, l'éblouissant travail esthétique autour d'elle la rend d'autant plus belle.