La danse, le ballet de l'Opéra de Paris
Après La Comédie‑Française ou l’amour joué, le fameux documentariste américain Frederick Wiseman, connu pour s’être intéressé aux grandes institutions de son pays dès 1967 avec Titicut Follies (doc sur la prison d’État psychiatrique de Bridgewater au Massachusetts) et pour sa méthode issue du « cinéma direct », s’est infiltré cette fois dans les entrailles d’un autre monument de la culture française : l’opéra de Paris (Garnier, surtout, et Bastille).
Dépourvu de tout commentaire, La danse, le ballet de l’Opéra de Paris, nommé au César du meilleur Documentaire en 2010, propose une exploration minutieuse de cette entreprise, de ses coulisses, depuis le toit de l’édifice de l’avenue de l’Opéra (où se nichent des ruches entretenues par un apiculteur) jusqu’à ses sous‑sols, où se cache un mystérieux lac et ses poissons, eux aussi bichonnés par le personnel du bâtiment.
Du sommet aux galeries souterraines, c’est métaphoriquement toute une hiérarchie qui est dévoilée, le documentariste ne montrant pas que les répétitions des danseurs, mais aussi tous les corps de métier gravitant autour des « étoiles » : couturiers, personnel d’entretien, maquilleurs, cuistot de la cantine… et, bien sûr, la directrice de cette microsociété, Brigitte Lefèvre, reine‑mère qui veille jalousement sur son trésor.
Statique, observatrice, épieuse, la caméra de Wiseman parvient donc à capter, outre la beauté des corps secs, musculeux et ductiles malmenés par l’effort (durant les répétitions et sur scène), le quotidien quasi trivial de ce vaisseau, filmant en plan fixe les différents plats servis au réfectoire, captant une réunion où l’on discute des faveurs à accorder aux mécènes américains prêts à débourser 25 000 dollars, ou une autre durant laquelle la direction annonce à une assemblée de danseurs la réforme des régimes spéciaux et les conditions particulières de leur retraite.
Long (trop ?), cet objet contemplatif, de par sa nature mutique, s’attache à filmer les arcanes de manière exhaustive (tous les lieux sont dévoilés), en gardant toutefois un peu trop de distance par rapport à ses sujets. La discipline semble si facile pour ces danseurs, qui exécutent chaque mouvement sans ‑apparemment‑ souffrir, les chorégraphes paraissent si calmes, que cela semble presque anormal. L’objectif de Wiseman leur laisse très peu d’occasions de s’exprimer ‑à part cette jeune danseuse dans le bureau de la directrice et quelques mots captés ça et là durant les répétitions‑. Il manque donc un soupçon de chair et de sueur à ce tableau à l’aspect finalement assez figé, mais qui dévoile par touches successives la moindre composante de cette fourmilière entièrement vouée à cet art éphémère.