À l'origine
À l’origine, un invraisemblable fait divers. Un escroc sans envergure habitué à plumer fissa des petites entreprises de province découvre un jour dans le Pas‑de‑Calais un chantier d’autoroute abandonné. Paul, bientôt renommé Philippe Miller, pressent dans la reprise de ce chantier la possibilité d’une arnaque juteuse. Pour les habitants de la petite bourgade, frappés par le chômage, la misère sociale et le grisou, l’arrivée de Philippe sonne Noël avant l’heure. Banquiers, maire, employés, ex‑ouvriers sur le carreau, tous se remettent en mouvement et s’embarquent aveuglément dans une aventure démesurée (construire en plein champ un tronçon d’autoroute) sous l’impulsion d’un homme bientôt dépassé par son entreprise mensongère. Pourtant grossière dans le détail, l’arnaque fonctionne (presque) sans embûches, grâce à l’immense besoin de croyance de cette communauté jusque‑là sinistrée.
En gestation depuis plus de dix ans, À l’origine sort à point nommé au milieu d’un contexte post‑crise dont il se fait partout l’écho. On reproche suffisamment au cinéma français sa surdité face à la réalité économique et sociale de notre pays pour ne pas, d’abord, saluer l’ancrage concret du quatrième film de Xavier Giannoli (Une aventure, Si j’étais chanteur), son désir d’en découdre, pieds dans les bottes et les flaques de boue, avec une classe ouvrière en train de crever ‑délocalisations, abandon de l’État, dépression, chômage, délinquance-. Soit un an de JT régional en accéléré et en Cinémascope.
There Will Be Blood dans le Nord de la France ? Les Misfits chez les Ch’tis ? Une autre fois peut-être. Car, en dépit de ces 2h30, le film de Gianolli manque curieusement d’amplitude, de folie et donc de souffle, tant du point de vue du personnage central que du groupe qu’il fédère. À l’exception du maire du village, interprété par Emmanuelle Devos et victime d’une historiette amoureuse pour le moins conventionnelle, aucun des personnages secondaires ne parvient à accrocher pour lui‑même le fil de cette épopée ouvrière. Drôle de paradoxe pour un film qui célèbre partout l’élan collectif et la beauté du lien social lorsqu'il se récrée, et qui jamais ne trouve la forme susceptible de l’incarner. À ce sujet, revoir Qu’elle était verte ma vallée et le fonctionnement cinématographique du démocratisme fordien.
Au final, À l’origine patauge, bégaie, comme plombé par le silence de son escroc ‑François Cluzet d’abord juste, mais dont l’inébranlable mutisme finit par lasser‑ et les riffs planants de Cliff Martinez n’y changent rien. Sans doute Gianolli s’est‑il laissé (trop) happé par l’obstination de ce Jean Valjean moderne, homme invisible puisant dans le simulacre et l’escroquerie le sel d’une identité sociale et rédemptrice. La métaphore déçoit (« une autoroute qui ne mène nulle part », avoue Miller au milieu du film, bof) et l’ironie actuelle du scénario (un voyou qui devient patron à l’heure où les patrons se comportent comme des voyous) vise très en‑deçà de la puissance métaphysique que ce film, à l’origine, aurait pu déployer.